Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/305

Cette page a été validée par deux contributeurs.
295
HISTOIRE SOCIALISTE

Oui, aurait-il dit à l’abbé de Montesquiou, ce n’est pas aux oisifs que doit aller le produit net de la terre : mais il ne faut pas plus qu’il aille à l’oisiveté d’Église corporativement organisée qu’à l’oisiveté individuelle du seigneur et du bourgeois. Le produit net de la terre doit se diviser entre la Nation elle-même, pour de grandes œuvres d’intérêt commun, et ceux qui travaillent le sol.

Si le culte est, en effet, un service public, il sera entretenu par la portion du produit net que retiendra la Nation : mais, bien loin de laisser à une partie de la propriété un caractère corporatif, il faut marquer la propriété toute entière d’un caractère public. Rien aux oisifs, quels qu’ils soient, oisifs de château, de maison bourgeoise ou d’Église : tout à la Nation et aux paysans !

Mais le communisme était si étranger, même aux plus hardis des démocrates, que nul constituant ne songea à utiliser, contre toute propriété oisive, la vigoureuse attaque de l’abbé de Montesquiou contre les économistes et « les gros propriétaires libres et oiseux ». En fait, le discours de l’abbé de Montesquiou était une tactique de désespoir. Sentant la propriété ecclésiastique menacée et la propriété des dîmes perdue, il se vengeait en ébranlant la propriété individuelle.

L’abbé Sieyès, si hardiment révolutionnaire dans l’organisation des pouvoirs publics, mais si conservateur dans la question des biens d’Église, essaya, lui aussi, une diversion du même ordre. Il présenta l’abolition des dîmes sans rachat comme un cadeau aux propriétaires riches. Et cela était vrai en quelque mesure :

« Je connais aussi bien qu’un autre tous les inconvénients de la dîme… Mais parce que la dîme est un véritable fléau pour l’agriculture, parce qu’il est plus nécessaire d’affranchir les terres de cette charge que de toute autre redevance, et parce qu’il est certain encore que le rachat de la dîme peut être employé plus utilement et plus également que la dîme elle-même, je n’en conclus pas qu’il faille faire présent d’environ 10 millions de rente aux propriétaires fonciers.

« Quand le législateur exige ou reçoit des sacrifices dans une circonstance comme celle-ci, ils ne doivent pas tourner au profit des riches ; 70 millions de rente étaient une ressource immense, elle est perdue aujourd’hui… Je cherche ce qu’on a fait pour le peuple dans cette grande opération, et je ne le trouve pas, mais j’y vois parfaitement l’avantage des riches : il est calculé sur la proportion des fortunes, de sorte qu’on y gagne d’autant plus qu’on est plus riche.

« Aussi, j’ai entendu quelqu’un remercier l’Assemblée de lui avoir donné, par son seul arrêté, 30.000 livres de rente en plus. Beaucoup de personnes se persuadent que c’est aux fermiers qu’on a fait le sacrifice de la dîme. C’est connaître bien peu les causes qui règlent partout le prix des baux : en gé-