Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/304

Cette page a été validée par deux contributeurs.
294
HISTOIRE SOCIALISTE

« Les dîmes en nature ecclésiastiques, laïques et inféodées pourront être converties en redevances pécuniaires, et rachetables, à la volonté des redevables, selon la proportion qui sera réglée, soit de gré à gré, soit par la loi, sauf leur remploi à faire par les décimateurs. »

Le 6 août, c’était donc encore le rachat des dîmes. Or, dès le 8 août, à propos d’un projet d’emprunt déposé par Necker, le marquis de Lacoste et Alexandre de Lameth demandent non seulement que les dîmes soient abolies sans indemnités, mais que tous les biens ecclésiastiques soient aliénés. Et, le 11, quand l’article relatif aux dîmes, vient précisément en discussion, quelques ecclésiastiques rappellent seuls et vainement, à l’Assemblée, que le 4, elle en ordonnait le rachat.

L’abbé de Montesquiou, dans un très habile discours, pour défendre la propriété corporative et conditionnelle de l’Église, attaque la propriété individuelle, noble ou bourgeoise :

« Il est deux sortes de propriétaires : les propriétaires libres et ceux qui sont chargés d’un service public. Une opinion exagérée présente les propriétaires libres comme la classe la plus importante de l’État. Il est plus exact de dire qu’ils en sont en général les citoyens les plus fortunés. Voilà ce qui les distingue des autres et non une prétendue supériorité sur les autres classes. Le grand intérêt de l’État réside dans les propriétés et non dans tel ou tel propriétaire. Pour que les terres soient productives, il faut de bons cultivateurs, il faut des avances considérables.

« Le consommateur oisif du produit net (c’est-à-dire le propriétaire oisif) n’est pas, quoi qu’on dise, la cause la plus essentielle de la reproduction : car le travail et les avances existeraient encore sans doute lors même que le consommateur cesserait d’être oisif. Ce qui est important pour l’État est donc que les terres soient bien cultivées et qu’elles payent une forte imposition proportionnelle.

« On ne persuadera jamais à un homme capable de réflexion qu’il y va du salut public, que le produit net restant appartienne à l’homme oiseux plutôt qu’à celui qui, de plus, et à ce titre, est chargé d’un service public quelconque. Cependant, tel est le préjugé en vigueur dans la plupart des têtes, qu’un gros propriétaire libre et puissamment occupé de ses jouissances personnelles, se regarde bonnement comme l’être le plus important, comme l’objet précieux en faveur de qui roule toute la machine politique, et pour qui doivent travailler ou s’agiter toutes les classes de citoyens qu’il appelle ses salariés. Que d’erreurs à corriger avant que l’on puisse avoir une bonne Constitution ! »

Ah ! quel dommage qu’il n’y ait pas eu à l’Assemblée constituante un orateur communiste ! Comme il aurait pris acte des accusations réciproques que s’adressaient la propriété corporative de l’Église et la propriété individuelle de l’oisif, noble ou bourgeois !