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HISTOIRE SOCIALISTE

ments ; que des gens armés se rendent coupables de violence, qu’ils entrent dans les châteaux, se saisissent des papiers et de tous les titres et les brûlent dans les cours.

« Déclare qu’occupée sans relâche de tout ce qui concerne la Constitution et la régénération de l’État, elle ne peut, quelque pressants que soient les objets particuliers qui lui sont soumis, détourner ses regards de celui auquel elle est fixée, et suspendre ses travaux dont toute l’importance exige la continuité.

« Déclare qu’aucune raison ne peut légitimer les suspensions de payements d’impôts et de toute autre redevance, jusqu’à ce qu’elle ait prononcé sur les différents droits ; déclare qu’aucun prétexte ne peut dispenser de les payer ; qu’elle voit avec douleur les troubles que ces refus occasionnent, et qu’ils sont essentiellement contraires aux principes du droit public que l’Assemblée ne cessera de maintenir. »

Si cette motion avait été adoptée, la Révolution était en péril. Comment réprimer, en effet, le soulèvement presque universel des paysans ? Si on faisait appel à la force exécutive du roi, on lui livrait la France. Si on armait contre les paysans les gardes bourgeoises des villes on créait la guerre civile entre les deux forces de la Révolution, la bourgeoisie et les paysans, et l’ancien régime se perpétuait par cette division. D’instinct l’Assemblée recula devant la motion de son Comité des rapports, elle décida seulement qu’une déclaration serait faite.

Déjà, timidement, quelques voix s’élevaient pour défendre les paysans révoltés. Un député obscur, dont le compte rendu n’a même pas recueilli le nom, dit : « Il ne faut pas appeler droits légitimes les droits injustes et, pour la plupart, fondés sur la force et la violence. Il ne faut pas parler des droits féodaux ; les habitants des campagnes en attendent la suppression et ce serait les irriter que de faire une pareille déclaration. » Mais il est visible que les hommes les plus influents, ceux qu’on appelait déjà « les chefs d’opinion » se réservaient.

Maintenir la propriété féodale contre les paysans soulevés, c’était peut-être faire avorter la Révolution. Mais permettre aux paysans de déraciner violemment la féodalité, n’était-ce point ébranler quelques racines de la propriété bourgeoise ? Ce sera, malgré tout, l’honneur de la grande Assemblée d’avoir su, à l’heure décisive, s’élever au-dessus de ces hésitations et de ces craintes et d’avoir osé, à la suite du paysan, révolutionner la propriété féodale. Tout d’abord, même dans la séance du soir du 4 août, on put croire que les scrupules des hommes de légalité et d’ordre strict allaient l’emporter. On put croire qu’ils allaient envelopper la propriété féodale elle-même dans le droit inviolable de propriété.

Target, à l’ouverture de la séance, donna lecture, au nom du Comité de rédaction, du projet d’arrêté suivant : « L’Assemblée nationale, considérant