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HISTOIRE SOCIALISTE

jusqu’ici n’avait eu qu’un foyer et un centre, l’Assemblée, a dès maintenant deux foyers qui se correspondent, l’Assemblée et le peuple de Paris.

Quelques jours après le 14 juillet, le sieur Bessin, orateur du faubourg Saint-Antoine, se présenta à la barre de l’Assemblée, pour demander quelques secours d’argent en faveur des ouvriers du faubourg dont ces trois journées d’agitation avaient suspendu les salaires, et il s’écria : « Messieurs, vous êtes les sauveurs de la patrie, mais vous aussi vous avez des sauveurs. » Le procès-verbal dit que ce début énergique fixa l’attention de l’Assemblée. Je le crois bien : c’était le sens même du grand événement du 14 qui lui apparaissait tout entier : quelle que fût sa force, quelle que fût sa majesté, elle se sentit soudain sous le protectorat de Paris ; et peut-être quelque malaise se mêla-t-il à l’allégresse de la victoire récente.

Mais ce ne sont encore sans doute que d’imperceptibles nuances et quand le 16 juillet l’Assemblée envoya à la capitale des délégués pour consacrer, en quelque sorte, et légaliser la Révolution, c’est avec un enthousiasme où il entrait du respect qu’ils furent reçus par un peuple immense. Mounier, le susceptible et rèche bourgeois, toujours armé de soupçon contre les démocraties, fut conquis lui-même par la ferveur respectueuse et cordiale de cet accueil.

Paris n’en était pas moins, dès ce jour-là, émancipé : et sous le coup des événements, il improvisa sa constitution municipale avant que l’Assemblée ait pu organiser par une loi générale les municipalités, avant qu’elle ait pu élaborer la Constitution nationale.

L’ancien bureau de la Ville dont on avait expérimenté en la personne du prévôt Flesselles l’esprit de contre-Révolution, est balayé. D’acclamation, Bailly est nommé maire de Paris, Lafayette est nommé commandant général de la garde bourgeoise parisienne. Par ces deux noms, Paris se rattachait à l’Assemblée nationale et aux deux plus grands souvenirs de la liberté : Bailly, c’était le serment du Jeu de Paume ; Lafayette, c’était la Révolution d’Amérique.

Paris, avec son grand instinct de Révolution et d’humanité, au moment même où il s’organisait municipalement, s’ouvrait pour ainsi dire tout grand à la liberté des deux mondes. Comme des remparts qui se dessinent à la lumière de l’espace profond, l’enceinte de la cité se profilait sur la grande lumière de la liberté universelle. Elle était comme concentrique à l’horizon humain, et l’on sentait que le cercle de la vie municipale pouvait se dilater soudain jusqu’à comprendre l’humanité. À l’exemple de Paris, des communes sans nombre vont se constituer sur tous les points de la France, pour administrer et pour combattre, pour écraser toute tentative de contre-révolution et pour suppléer aux défaillances du pouvoir exécutif royal soudain annihilé ou réduit. Et toutes ces communes, nées pour ainsi dire d’une même commotion de liberté et d’un même besoin d’ordre vont se fédérer avec celle de Paris. Dès les premières semaines, de nombreuses