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HISTOIRE SOCIALISTE

sonniers étaient réintégrés dans les prisons de l’Abbaye ; les attroupements ont cessé au Palais-Royal et le calme règne à Paris. » Le président répondit par des félicitations, et l’assemblée des électeurs, grandie par cette sorte d’investiture nationale, haussa son rôle et son courage.

Dès le 10, à l’Hôtel-de-Ville, Carra propose aux électeurs « de se constituer en assemblée réelle et active des communes de Paris », et de reprendre en cette qualité les droits qui y sont inhérents, notamment l’élection directe et immédiate des officiers de la Commune, le règlement des attributions des magistrats municipaux, la garde et la défense de la cité, de ses droits et de ses propriétés (Voir Sigismond Lacroix, Actes de la Commune de Paris). Mais l’assemblée des électeurs estima que le plus urgent était d’organiser les gardes-bourgeoises ; elle ajourna le projet de Carra, et décida, dès le 11, qu’elle réclamerait l’institution immédiate d’une force armée parisienne.

C’est le dimanche 12 juin, dans l’après-midi, que Paris apprit le renvoi de Necker. La commotion fut violente. Paris sentit que le coup d’État était sur lui ; le buste de Necker voilé de crêpe fut porté dans les rues ; les régiments allemands de Reinach, d’Esterhazy étaient massés aux Champs-Élysées, sur la place Louis XV ; la foule leur jeta des pierres, ils répondirent par des coups de feu, et le colonel de Lambesc pénétra avec ses dragons dans le jardin des Tuileries où, dans la panique, un vieillard fut renversé et foulé aux pieds des chevaux. Le soir, le peuple se porta aux théâtres, à l’Opéra, et il exigea que toute représentation fût suspendue pour marquer le deuil de la patrie. Ordre fut donné aux maisons, comme en témoigne l’ambassadeur vénitien, d’illuminer leurs fenêtres, pour prévenir toute manœuvre des troupes ou tout acte de brigandage, et c’est dans cette excitation et cet éblouissement de la lumière que Paris attendit les luttes du lendemain. En même temps, les barrières détestées de la Ferme générale brûlaient.

Le peuple a le sentiment que, pour être efficace, la résistance doit être organisée. Il a un double but. Il veut que les milices bourgeoises deviennent immédiatement une institution légale et que l’assemblée des électeurs prenne sérieusement en mains la défense de Paris. Un des électeurs, le médecin Guillotin, député de Paris, est envoyé le lundi 15 à l’Assemblée pour obtenir un arrêté créant à Paris la garde-bourgeoise. Évidemment la bourgeoisie révolutionnaire parisienne se sent plus forte, devant les soudards étrangers, si elle est l’organe de la nation et de la loi.

L’Assemblée nationale, éveillée de sa torpeur du 11, s’élève à la hauteur de Paris. Le prudent et méticuleux Mounier, retrouvant dans le sentiment de la légalité violée les belles fiertés de la lutte dauphinoise, proteste contre le renvoi du ministre patriote, et il s’écrie : « N’oublions jamais que nous aimons la monarchie pour la France et non la France pour la monarchie. »

Un moment, la motion Guillotin qui invite l’Assemblée à concourir à la formation d’une garde-bourgeoise parisienne semble rencontrer quelque