mais elles deviendront lois le jour où les ordres privilégiés se seront réunis à nous ». Ainsi, les communes auraient jeté de fortes racines dans le peuple, et elles auraient obligé les ordres dissidents à se ranger à elles, sans qu’aucun péril de conflit sanglant se produisît. Pourquoi calomnier ce beau plan qui, s’il n’avait pas la hardiesse du défi direct aux privilégiés, s’attaquait au privilège même et assurait au Tiers-État la force de l’opinion ? En tout cas, Mirabeau avait raison de reprocher à Sieyès l’incertitude calculée de son titre. Au fond, il faisait du Tiers l’Assemblée nationale, et il ne le disait pas, perdant ainsi la force révolutionnaire que la franchise et la brièveté du titre auraient donnée aux communes. Celles-ci se débattaient dans une grande perplexité. Mounier leur propose de s’appeler : « Assemblée législative des représentants de la majeure partie de la Nation agissant en l’absence de la mineure partie ». C’était bien long : et, de plus, en accordant aux députés des autres ordres, non encore vérifiés, le même titre qu’aux élus du Tiers, cette motion effaçait vraiment trop le caractère national des communes. Celles-ci hésitèrent encore pendant les séances du 15 et du 16 juin : mais, dépassant en clairvoyance et en courage leurs chefs les plus renommés, elles comprirent qu’elles ne se sauveraient que par la netteté dans l’audace et, sur la motion de Legrand, député du Berry, elles décidèrent enfin, le 17 juin, que « la seule dénomination qui leur convenait était celle d’Assemblée nationale ». Le même jour, l’Assemblée, avec une décision admirable, fait acte de souveraineté. Elle déclare que tous les impôts existants sont illégalement perçus, mais qu’elle leur donne une légalité provisoire, seulement « jusqu’au jour de la première séparation de cette Assemblée, de quelque cause qu’elle puisse provenir ». Ainsi, tout acte de violence contre l’Assemblée faisait tomber du coup la légalité de l’impôt et constituait tous les citoyens à l’état de légitime résistance. De cette Assemblée, si longtemps prudente, sortent maintenant les grandes décisions révolutionnaires. Et en ces hommes, la réaction haineuse ou pédante affecte de ne voir que théoriciens sans expérience ou procéduriers sans idée ! Jamais plus admirable combinaison d’habileté et d’audace, de sagesse et d’héroïsme n’illustra l’action humaine.
La Cour et les privilégiés en furent déconcertés. Il ne leur restait plus, après ce grand coup, qu’à se soumettre pleinement ou à recourir à la violence. Et pour avoir quelque chance de succès, ils devaient agir vite. Or, dans leur désarroi, ils perdirent trois jours. La noblesse, si hautaine il y a quelques semaines, envoie au Roi, dans la journée du 19 juin, une adresse geignante : « Ah ! Sire, c’est à votre cœur seul que l’ordre de la noblesse en appelle… Les députés de l’ordre du Tiers-État ont cru pouvoir concentrer en eux seuls l’autorité des États Généraux, sans attendre le concours des trois ordres et la sanction de Votre Majesté ; ils ont cru pouvoir convertir leurs décrets en lois ; ils en ont ordonné l’impression, la publicité et l’envoi dans les provinces ; ils ont détruit les impôts, ils les ont recréés : ils ont