sont composées que de petites propriétés qui ont été envahies de toutes manières.
« On éblouit un paysan malaisé avec de l’argent comptant, on lui en suscite le besoin par la facilité cruelle de lui prêter jusqu’à ce qu’il ne puisse plus rendre, alors on le saisit, on vend au bas prix son héritage au profit du prêteur, on lui fait mille chicanes pour des bagatelles, on l’étourdit par la crainte d’un procès ruineux qui l’oblige de faire le sacrifice de petit bien qui faisait subsister sa famille. »
« La cupidité des riches leur suscite mille moyens pour s’agrandir, ce qui est une principale source de la misère des peuples de la campagne…
« Nous représentons qu’il serait infiniment utile d’établir dans tous villages, autant que faire se pourra, des pâtures communes, contre l’opinion des agronomes modernes ; qu’on fasse restituer celles qui ont été usurpées, et les terrains vagues dont on s’est emparé depuis plusieurs années, et qu’on remette les chemins ruraux dans leur ancienne intégrité.
« Ces terrains et ces chemins, que plusieurs seigneurs et particuliers ont mis en culture à leur profit, étaient des espèces de pâtures pour les vaches, dont la privation est encore une des causes de misère des pauvres habitants des campagnes : mais on a tout fait pour les riches et rien pour les pauvres. »
Ainsi, c’est une passion vibrante qui, de tous les points de la France rurale, répondra aux premiers actes de la Révolution. Et non seulement la bourgeoisie révolutionnaire, si puissante par la force économique et la force de l’idée, ne sera point désavouée par le vaste peuple des campagnes : mais celui-ci aura comme un surcroît de colère, prêt à déborder au delà même des limites que le Tiers-État des villes aurait marquées. Quand une grande île surgit du sein de l’Océan, elle ébranle au loin les vastes flots, et les flots, par un irrésistible mouvement de retour, viennent battre ses rives soudainement dressées.
De même, le brusque surgissement révolutionnaire ébranlera au loin toutes les passions, toutes les colères, toutes les espérances de la vaste mer paysanne dormante depuis des siècles : et l’énorme flot paysan viendra déferler sur les rivages de la Révolution bourgeoise, leur jetant les débris du vieux système féodal.
III
JOURNÉES RÉVOLUTIONNAIRES
(20 juin, 14 juillet, 5 et 6 octobre)
C’est le 4 mai que les députés des États Généraux se réunirent pour la première fois pour aller, processionnellement, entendre à l’église Saint Louis une messe du Saint Esprit, célébrée par l’évêque de Nancy. Une foule énorme, accourue de Paris, contemplait au passage les brillants costumes des princes, la masse sombre et compacte des élus du Tiers vêtus de noir.
Le lendemain, 5 mai, les députés furent convoqués, pour la première séance, dans la Salle des Menus, appelée Salle des Trois Ordres. C’était une grande pièce rectangulaire, qui pouvait contenir environ douze cents per-