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HISTOIRE SOCIALISTE

mineux et si vaste, on aura en raccourci tout le cycle de la pensée révolutionnaire.

Écoutons donc, avant de nous engager dans la tourmente, quelques-unes des revendications et des plaintes des paysans de Fosses : « Nous désirons ardemment que, dans la multitude des impôts à supprimer, on réforme surtout ceux qui sont sur les choses dont la consommation est nécessaire pour les pauvres comme pour les riches tel, par exemple, le sel. Il n’y a pas d’impôt plus mal, plus injustement et plus ridiculement réparti. Il semble que ceux qui l’ont inventé aient dit : il faut trouver un moyen de faire contribuer les pauvres autant que les riches aux dépenses de l’État ; mais somme nous ne pouvons pas les imposer à la taille, à ses accessoires, à l’industrie, à la corvée, à la capitation, aux vingtièmes, parce qu’ils ne payeraient pas et que nous ne trouverions rien chez eux qui puisse répondre de leurs impositions, imaginons d’imposer chèrement le sel : comme non seulement ils ne peuvent pas plus s’en passer que les riches, la dépense qu’ils feront pour cela compensera en partie les impôts dont nous ne pouvons pas les charger ; tel est le cruel raisonnement qu’ont dû faire les suppôts du fisc lorsqu’ils ont inventé ce détestable impôt. »

« Et, en effet, nous éprouvons par nous-mêmes la vérité de ce que nous venons de dire au sujet de la consommation de cette denrée. »

« Un ménage, très pauvre parmi nous, composé de l’homme, de la femme, l’une fille de dix-huit ans, d’un jeune garçon de dix à douze ans, consomme quarteron à quarteron, c’est-à-dire 3 sous et demi par 3 sous et demi, 78 livres de sel par an. »

« Un autre ménage, aussi pauvre, composé de trois personnes, mais dont deux sont batteurs en granges, en consomme au moins 60 livres par an, au lieu que dans une maison bourgeoise, où il y a également trois personnes, nous savons qu’il s’en consomme à peine 25 livres par an. C’est donc avec raison que nous nous plaignons de cet impôt comme injustement réparti… »

« Nous demandons la suppression des capitaineries (chasses réservées du Roi)… parce qu’elles sont très nuisibles à l’État par le tort immense qu’elles font à la production de la terre… Nous n’ignorons pas que le luxe actuel des riches et l’abondance des manufactures, établies dans les environs de Paris, ne fassent une consommation considérable de bois qui en diminue beaucoup la quantité : mais le gibier des capitaineries y détruit encore bien davantage, car il l’empêche absolument de pousser : à peine le bourgeon sort-il de terre qu’il est dévoré… »

« Et combien de familles dans les villages, réduites à la plus grande misère par les amendes extorquées, à tort et à travers, sur les malheureuses victimes de cette maladie (le braconnage), souvent même sur des innocents qui ont quelquefois aussi payé de leur vie un délit léger, commis par imprudence ou ignorance des lois de capitainerie ! »