plus il y avait, en bien des communautés rurales, des traditions d’assemblées populaires et plénières.
Pour le choix des répartiteurs, pour les travaux des chemins, pour les réparations à l’Église, au presbytère, à l’école, tous les habitants étaient convoqués ; on délibérait sur la place du village, et le notaire inscrivait le résultat du vote.
Les assemblées provinciales réunies en 1787 avaient essayé de substituer le suffrage de la propriété, le suffrage censitaire à cette sorte de suffrage universel paysan : mais celui-ci avait résisté : et je note bien des cahiers qui demandaient que les réunions des communautés de villages « trop nombreuses et tumultueuses » soient réglementées. Elles persistaient donc : et sans aucun doute cette tradition a aidé les paysans même les plus pauvres, même les plus humbles à faire entendre leur voix.
Aussi bien, même si les journaliers, les manouvriers, les prolétaires ruraux n’ont pas toujours pris part directement à la formation des cahiers et au choix des députés, ils ne sont pas tout de même absents des cahiers. Il est visible que la plupart du temps ce ne sont pas les paysans eux-mêmes qui tenaient la plume : ils avaient recours aux bons offices de quelque praticien au courant de leurs affaires : les citations latines mêlées aux cahiers même les plus savoureux, les plus imprégnés de vie paysanne en sont la preuve. Or, ces hommes, petits médecins ou vétérinaires ou hommes de loi, connaissaient aussi bien les souffrances des manouvriers que celles des petits fermiers ou des petits propriétaires.
Ils vivaient familièrement avec les uns et avec les autres et tenaient à traduire dans les cahiers les doléances de tout : le cahier était ainsi vraiment, pour employer une expression du moyen âge, « le miroir » de la communauté.
C’est ainsi par exemple que dans certains cahiers de paroisses de l’Autunois, cités par M. de Charmasse, il y a une analyse merveilleusement exacte et nuancée des catégories rurales. Ces cahiers distinguent, (notamment ceux de la paroisse de Grury) dans le Tiers-État rural, quatre classes : le modeste propriétaire bourgeois qui vit assez maigrement de ses revenus fonciers, le propriétaire cultivateur, le métayer et enfin le manouvrier.
Je ne peux citer que quelques passages : « Les propriétaires cultivateurs sont au nombre de cinq et peuvent faire quarante individus : à raison des rentes énormes et servitudes de toutes espèces dont leurs fonds sont chargés, ils n’ont pas, tout payé, le tiers des fruits francs sur lesquels il faut payer les impôts royaux, en sorte qu’ils ne sont guère moins misérables que ceux de la classe qui les suit. »
« Quel pinceau pourrait représenter au vrai l’état des malheureux de cette troisième classe dont le sort est bien plus fâcheux que celui des esclaves qui s’achètent à prix d’argent ? Car les maîtres à qui ils appartiennent dans la