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HISTOIRE SOCIALISTE

de ce qu’il a souffert dans les campagnes ; et il faut avoir beaucoup vécu au milieu des cultivateurs pour s’en faire une juste idée. C’est bien le même peuple qui habite, toute la France ; mais les familles qui se sont fixées dans les villes, profitant d’une éducation plus soignée, à portée du secours des lettres et des arts, entourées des jouissances du beau, accoutumées comme le clergé lui-même et comme la noblesse, à consumer le fruit du travail d’autrui n’ont pu s’empêcher de prendre quelques-uns des préjugés des ordres supérieurs, de se croire souvent et d’avoir peut-être des intérêts, opposés à ceux de la campagne. »

En retour, il n’est pas rare de trouver dans les cahiers ruraux quelque hostilité contre les bourgeois des villes. Parfois, mais très rarement, les paysans vont jusqu’à demander une délibération et un cahier à part. Le plus souvent ils signalent les privilèges dont la bourgeoisie jouit aussi et les grandes terres qu’elle détient.

La paroisse de Boulogne dit par exemple : « Les dames de Montmartre, les religieuses de Longchamp et M. le prince de Conti ne sont point sujets à ces deux impôts (la corvée et le vingtième) ; les maisons bourgeoises et les jardins ne payent pas non plus les deux premiers, parce que les propriétaires, nobles ou financiers, demeurent à Paris, et que comme privilégiés ou habitants de la capitale ils en sont exempts : le troisième, sous prétexte que leurs maisons et jardins sont de pur agrément et ne leur produisent rien, comme si de grands jardins enlevés à l’agriculture, pour le plaisir et la jouissance d’un seul particulier, ne devaient pas l’impôt comme une terre arrosée de la sueur du cultivateur. »

Dans les cahiers de paroisses du pays chartrain abondent les réclamations contre les villes. La paroisse d’Audeville dit : « Les privilèges des villes occasionnent une augmentation considérable d’impôts sur les habitants de la campagne, qui trouvent à peine une subsistance grossière dans leurs emplois de tout genre… »

La paroisse de Saint-Denis-de-Cernelles dit : « Les privilèges accordés aux citoyens des villes occasionnent une réversion considérable d’impôts sur les habitants des campagnes, qui trouvent à peine une subsistance grossière par la culture des terres. »

Les habitants de la paroisse de Morancez disent : « Les laboureurs se voient avec indignation méprisés. Ils entendent avec dépit un huissier enrichi aux dépens de 100 familles, un insolent commis aux aides, un très inutile bourgeois, en parlant d’un honnête laboureur, le traiter de paysan, en exiger des égards et le tutoyer. »

Les cahiers ne font guère de différence entre la propriété bourgeoise et la propriété noble ; tout cela est pris sur le paysan. La paroisse de Barzouville dit : « Il y a dans notre paroisse 21 arpents de pré dont 12 sont récoltés par des nobles propriétaires, et le surplus par des mains mortes ;