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HISTOIRE SOCIALISTE

Il y avait donc, dès cette époque, au plus profond de la misère rurale et de la conscience paysanne des germes de demi-communisme et de solidarité qui, cultivés avec méthode, auraient pu transformer le régime de la propriété foncière dans un sens largement humain. Malheureusement, il résulte des textes variés que nous avons cités ou indiqués que les paysans n’étaient point préparés dans l’ensemble à une vigoureuse utilisation scientifique et intensive du domaine commun et que la bourgeoisie des villes se souciait fort peu de faire en ce sens l’éducation des paysans pauvres. Ainsi il n’y a guère de chance pour que la Révolution procède à une réparation et rénovation vraiment communiste de ce domaine usurpé par les seigneurs. Mais la lutte qui se poursuit depuis trente ans surtout entre les nobles et les paysans au sujet des biens de communauté ajoute prodigieusement à l’irritation paysanne : et les innombrables procès engagés entre les paysans et les seigneurs, les innombrables spoliations cyniquement pratiquées par ceux-ci sont à cette heure un des ferments les plus actifs de la passion révolutionnaire : le progrès même de la culture en exaspérant les appétits des seigneurs, ajoute, en un sens, à la misère des travailleurs des campagnes et à leur colère. Mais en succombant à l’expropriation des nobles qui combinaient contre eux la puissance féodale et les prétextes capitalistes, les paysans élèvent une protestation que l’histoire n’a pas entendue encore mais que l’avenir accueillera. Ils affirment leur droit à la terre, leur droit à la vie : et ils opposent à la brutalité des puissants, une sorte de droit communiste préexistant. « On a prétendu faussement, dit une de leurs adresses, que la vaine pâture n’était qu’une servitude ; ce droit de communauté d’habitants est une propriété publique, plus ancienne que les propriétés particulières… Son existence précède la formation même des sociétés agricoles. »

Les paysans étaient très éprouvés aussi, en plusieurs régions, par le régime assez récent des grandes fermes. L’effort des propriétaires depuis un tiers de siècle, pour tirer de leurs terres le maximum de revenu, pesait lourdement sur le cultivateur : et les protestations abondent dans les cahiers, surtout de l’Île de France, de la Brie, du Vermandois, du pays Chartrain, de la région du Nord, de l’Autunois, etc.

Dans presque toute l’étendue des pays de fermage c’était le même mouvement. Les paysans étaient déracinés du sol par deux procédés. Ou bien le propriétaire (couvent ou noble) abattait les masures, et il ne construisait rien à la place. Il se contentait d’affermer sa terre par lots à des fermiers qui, ayant déjà leur centre d’exploitation, trouvaient leur compte à étendre leurs opérations. Ou bien le propriétaire lui-même remplaçait, par un corps de ferme central et important, plusieurs médiocres exploitations rurales.

Contre ces procédés d’éviction, les cahiers s’élèvent avec une sorte de violence et en demandant l’intervention de l’État. Par exemple, dans le