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HISTOIRE SOCIALISTE

leur terre tantôt au nom de la suzeraineté féodale, tantôt au nom de la communauté. Et les paysans propriétaires aspiraient à libérer leur domaine de toutes ces interventions, leur propriété de toutes ces restrictions : ils aspiraient, selon le mot de Boncerf, à la simplification générale de leur propriété, aussi bien contre le faible et pauvre communisme de village que contre la puissante oligarchie nobiliaire.

Ainsi, ils s’accordaient avec la plupart des seigneurs ou de leurs fermiers pour restreindre autant que possible le droit de glanage et de vaine pâture. C’est pour répondre à ce mouvement que la royauté avait, par une série d’édits ou d’arrêtés du Parlement, notamment par l’édit de clôture de 1766, accordé aux propriétaires le droit d’enclore leurs terres, dans conditions déterminées : et ce droit de clôture avait soulevé dans les campagnes des contestations très vives. Il était approuvé et demandé par les propriétaires riches, et combattu par les pauvres. Les cahiers des États généraux portent à propos du droit de glanage et de vaine pâture la marque de ces hésitations et de ces luttes. Ainsi, la communauté du Bourget demande dans l’article 16 de ses cahiers, « qu’on remette en vigueur les anciens règlements qui enjoignent à tous fermiers cultivateurs, de laisser leur champs libres après la moisson, au moins l’espace de vingt-quatre heures, pour la facilité des glaneurs. » C’est la preuve que là, le droit exclusif de propriété avait fini par éliminer jusqu’au glanage : la paroisse d’Épinay-le-Saint-Denis demande « l’exécution des lois sur le glanage » et on ne sait si elle entend par là que le glanage supprimé doit être rétabli, ou au contraire que le glanage déréglé doit être ramené à une juste mesure.

La paroisse de la Queue en Brie demande « que les arrêts et règlements rendus sur le glanage dans les moissons soient exécutés suivant leurs formes et teneurs, et qu’il ne soit permis à l’avenir, de glaner qu’aux pauvres infirmes et à ceux qui ne peuvent absolument point vaquer aux occupations de la moisson. » Ici c’est l’opposition au glanage qui l’emporte : et il est clair que si seuls, les infirmes, ceux qui sont absolument incapables de tout travail sont admis à glaner, le glanage est à la discrétion des propriétaires ; car il dépend toujours d’eux de trouver insuffisant le degré d’infirmité et de pauvreté du glaneur.

La noblesse du Boulonnais, en l’article glanage de ses cahiers insiste presque violemment dans le même sens d’exclusivisme propriétaire. « S’il n’y avait que les enfants et les gens hors d’état de travailler qui glanassent, cette espèce de dîme serait regardée par les propriétaires des champs comme une charité à laquelle ils seraient bien éloignés de s’opposer ; c’est actuellement une profession pour les fainéants et vagabonds ; non seulement ils n’attendent point que les grains soient plies ou rentrés, mais ils prennent aux javelles et aux gerbes, et vont nuitamment en enlever ; les propriétaires et les fermiers ne sont plus maîtres de leurs champs lors de la récolte ; tan-