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HISTOIRE SOCIALISTE

la servitude du glanage et de la vaine pâture et d’absorber le domaine des communautés. Et les effets sociaux de ce mouvement sont extrêmement complexes. Tandis qu’en ce qui touche les droits féodaux et les privilèges nobiliaires, le Tiers-État des campagnes et la bourgeoisie des villes marchent d’accord ou à peu près d’accord contre la noblesse, il se produit à propos du droit de glanage et de vaine pâture, et à propos des biens communaux une dislocation dans le Tiers-État. D’abord il y a opposition ou tout au moins divergence entre les bourgeois des villes et une partie des habitants des campagnes.

Les bourgeois des villes devenus acquéreurs de domaines ruraux et voulant en obtenir le rendement le plus élevé possible, voudraient bien en fermer l’accès aux glaneurs et glaneuses, surtout aux troupeaux de toute la communauté, qui, après la récolte des foins et pendant une assez longue période de l’année ont le droit d’aller pâturer dans les prés des particuliers. Quant aux biens communaux, le propriétaire bourgeois s’en désintéressait un peu : pratiquant d’habitude les méthodes de culture les plus récentes, il n’attachait pas grande importance à pouvoir faire pâturer son bétail sur le terrain commun : il avait de larges approvisionnements de fourrages. Et même parfois il pouvait désirer que la décomposition des biens de la communauté lui permît d’acheter d’autres grandes étendues de terre à de bonnes conditions. Au contraire, les pauvres paysans avaient un intérêt de premier ordre à maintenir le droit de glanage qui leur donnait un peu de blé et du chaume pour couvrir leur misérable masure. Ils avaient grand intérêt aussi à garder le droit de parcours et de vaine pâture qui leur permettait de nourrir une partie de l’année leur vache et quelques moutons. Enfin comment auraient-ils renoncé à leur droit d’usage sur les biens de la communauté puisqu’ils n’avaient aucune chance d’en acquérir une portion s’ils étaient aliénés ?

Il y avait donc en tous ces points un certain conflit de tendances entre la bourgeoisie des villes, propriétaire d’immeubles ruraux, et une portion des paysans. Mais parmi les paysans même, parmi les cultivateurs il y avait division et incertitude. Beaucoup de paysans propriétaires, eux aussi, détestaient le droit de glanage et de vaine pâture. Leur terre, déjà chargée bien souvent de droits féodaux, était encore frappée d’une sorte de servitude au profit des pauvres ou de la communauté. Leur propriété individuelle était comme resserrée entre le droit féodal, agissant par la dîme, le champart, le cens, et une sorte de communisme élémentaire.

Quand ils avaient livré au décimateur ou au champarteur plusieurs gerbes de leur récolte, il fallait qu’ils abandonnent aux habitants de la commune les épis laissés à terre ou le chaume plus ou moins haut. Quand ils avaient abandonné au décimateur de la dîme verte une partie de leurs foins ils devaient pour plusieurs mois livrer passage sur leur pré aux troupeaux qui pâturaient. Ainsi c’était comme une perpétuelle invasion et occupation de