Sous l’action de ce capitalisme agricole, la culture avait rapidement progressé. Je note dans le rapport de Calonne aux notables, en 1787, ces paroles tout à fait remarquables : « Ainsi s’explique que les domaines du Roi n’aient pas participé à cette heureuse révolution qui depuis vingt ans a doublé le revenu des terres. » Quelle que fut l’impertinence de Calonne ou sa légèreté, il n’aurait jamais tenu un pareil langage à une assemblée où abondaient les grands propriétaires si le fait n’eût été certain.
En beaucoup de régions, les cahiers ruraux se plaignent que les terres soient « démasurées » par les propriétaires, que les petites fermes soient remplacées par de grandes exploitations, et il est certain que c’est dans la deuxième moitié et surtout le dernier quart du xviiie siècle qu’ont été construits beaucoup de ces grands bâtiments de ferme que nous voyons aujourd’hui encore dans l’Île-de-France ou la Flandre. Un vaste travail de reconstruction et réinstallation rurale se poursuivait en même temps que la rénovation urbaine. Mais quel eût été l’objet de toutes ces dépenses si les propriétaires n’avaient voulu inaugurer une culture plus savante et mieux outillée ? C’est pour abriter les puissants attelages, les grands approvisionnements d’engrais et de fourrages qu’un seul vaste bâtiment était substitué aux pauvres masures dispersées.
La Société royale d’agriculture est fondée à Paris, en 1785, pour donner une direction scientifique à ce mouvement de régénération agricole, et le recueil de ses travaux est un des plus substantiels et des plus vivants qui se puisse rencontrer. Elle se propose d’étendre peu à peu à la France entière la méthode perfectionnée de culture de l’Île-de-France.
Le marquis de Guerches, son président, dit dans son discours d’ouverture de 1786 : « On ne doit pas juger de l’éclat de l’agriculture en France par l’état florissant des environs de la Capitale où, quoique les terres soient très médiocres, la grande quantité d’engrais les met, pour les récolter, au niveau des meilleures. La comparaison de ces lieux favorisés par le hasard des circonstances avec d’autres lieux, souvent très voisins, démontre d’autant mieux que l’industrie doit venir au secours de la culture négligée des provinces éloignées. »
C’est comme le manifeste de la culture scientifique et intensive ; et le marquis de Guerches sollicite expressément « le concours des chimistes, des mécaniciens, des naturalistes ». La Société proclame à maintes reprises qu’elle veut animer à la fois et régulariser le progrès, et préserver les cultivateurs de la routine et de l’abus des systèmes. Un de ses membres les plus influents, le duc de Liancourt, le même qui rédigea à l’Assemblée constituante un beau rapport sur l’assistance publique, ne cesse de répéter, qu’il ne faut point se laisser décourager par les préjugés et les routines des paysans. « Il faut, dit-il avec une philanthropie un peu hautaine, forcer les paysans à devenir riches malgré eux. »