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HISTOIRE SOCIALISTE

si important, une catégorie si décisive de la production agricole qu’il assigne à une catégorie distincte de personnes le soin de représenter le capital d’exploitation.

Ce n’est pas le propriétaire du fonds qui peut le fournir. En procurant le fonds il a en quelque sorte épuisé sa fonction : ce sont les riches fermiers qui doivent fournir les avances. Ainsi il y a comme un personnel spécial de capitalistes agricoles qui intervient dans la production.

« Ces richesses d’exploitation, sans lesquelles la terre est stérile à notre égard, ne sont point annexées à la propriété de la terre ; au contraire, il importe que le propriétaire, jouissant d’un revenu fixe et disponible ne soit chargé que de l’entretien du fond et puisse vaquer aux divers emplois de la Société. Les richesses productives doivent appartenir au cultivateur lui-même qui prend à entreprise l’exploitation du fond, et que nous appelons fermier, et ce n’est que lorsque par des erreurs grossières on a attenté à l’immunité des richesses d’exploitation et spolié les cultivateurs, que les propriétaires obligés d’en fournir de faibles et insuffisantes, sous peine de voir leurs fonds devenir friches, les confient aux mains de pauvres colons mercenaires, qui partagent avec le propriétaire qui a fait les avances, le faible produit d’une pauvre culture et qui vivent sur le dépérissement même des richesses qui les doivent nourrir. Les richesses d’exploitation doivent donc être sacrées. » Cela est écrit en 1767, et ce n’était point théorie pure.

Cette classe des grands fermiers, des grands capitalistes de l’exploitation agricole se développait largement à la fin de l’ancien régime ; ils prenaient à bail, soit pour l’exploitation directe, soit pour les sous-louer, de nombreux domaines, et Mercier leur consacre, en 1785, un chapitre spécial où il parle de leur luxe incroyable et de leurs richesses.

Le marquis de Mirabeau entre dans le détail de ce capital du fermage. « Les avances primitives de l’établissement d’une charrue, attelée de quatre forts chevaux, et ses dépendances consistant en bestiaux, outils, engrais, fourrages secs et autres amas indispensables, nourriture et salaires anticipés de domestiques et d’ouvriers, et les dépenses d’entretien et de subsistance du fermier et de sa famille pour entreprendre et exécuter la première cultivation antérieure aux produits : ces avances primitives, dis-je, sont ici évaluées 10,000 livres… Les avances annuelles d’une charrue consistant dans les fonds de toute espèce qu’elle emploie pour préparer le produit, sont évaluées à 2,100 livres. »

Comme on voit, pour les domaines à plusieurs charrues la somme des avances nécessaires dans le type de grande et forte production recommandé par les économistes, est considérable. Ces calculs s’appliquent surtout, il est vrai, aux pays de fermage où la culture se fait généralement par des chevaux, l’Île-de-France, la Flandre, la Picardie, etc., mais ce sont les régions agricoles les plus puissantes.