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HISTOIRE SOCIALISTE

La banqueroute, en ruinant la bourgeoisie n’aurait pas suscité le prolétariat ; elle aurait simplement consacré le gaspillage monarchique et le parasitisme nobiliaire ; et elle aurait écrasé dans son germe tout l’ordre capitaliste, préparation nécessaire du socialisme.

En consacrant le produit de la vente des biens du clergé, au service de la dette, la bourgeoisie révolutionnaire faisait coup double, elle précipitait la chute du vieux système et affermissait le système nouveau : ou mieux encore elle employait les gros blocs descellés de la vieille maison, à bâtir ou à étayer la maison nouvelle.

Et lorsque, avant même la réunion des États généraux, avant l’échec des premières opérations de finance, qui ne laissèrent d’autre ressource à la Révolution que la nationalisation des biens du clergé, le Tiers-État en quelques-uns de ses cahiers prévoit cette mesure, il donne la preuve d’une merveilleuse clairvoyance révolutionnaire.

Ainsi toute la Révolution était contenue dans les cahiers : les moyens étaient marqués comme le but. Sans doute pour quelques-uns des actes les plus décisifs et les plus audacieux, comme l’expropriation générale de l’Église, rares sont les cahiers qui abordent directement le problème : mais en presque tous, il y a comme des approches.

Et tous ou presque tous tracent avec précision le plan administratif et politique de la société nouvelle ; ils organisent la responsabilité des ministres devant la nation, et ils font de l’élection, pour les assemblées municipales comme pour l’assemble nationale, la source du pouvoir.

Tous, aussi, comme pour attester que le souffle ardent et doux de la philosophie du xviiie siècle avait fondu les vieilles barbaries, ils demandent plus d’humanité, même dans les lois de répression, l’abolition de la torture, le respect de l’accusé, la réduction de la peine de mort à des cas très rares. Parfois, comme une douce étoile luisant sur un âpre sommet, au-dessus des sublimes escarpements révolutionnaires s’allume une merveilleuse et tendre lueur de pitié et de bonté.

Comment choisir entre tous ces cahiers, tous si vivants et si pleins, pour donner une idée concrète de cette grande consultation nationale ? Je veux citer seulement quelques parties du cahier du Tiers État de Paris intra-muros et de Paris extra-muros.

Et si je les choisis, c’est parce que la concision heureuse de quelques-unes de leurs formules leur a valu le grand honneur de fournir en grande partie le texte de la Déclaration des Droits de l’homme. À l’Assemblée nationale, c’est le sixième bureau, celui des élus de Paris, qui fournira le projet de Déclaration des droits le mieux accueilli : et les élus n’eurent guère qu’à se rappeler les cahiers de Paris. C’est donc Paris, en ses cahiers, qui a donné la formule de la déclaration immortelle, c’est de ce jour, exactement, que Paris est la capitale de la Révolution et de la France.