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HISTOIRE SOCIALISTE

diesse du prédicateur tumultueux, qui fera peur aux révolutionnaires, ne se hausse pas au-dessus de ce piètre idéal et rien ne marque mieux l’humilité générale de la pensée prolétarienne. Il n’y a pas là la plus mince ébauche de ce qu’on appellera plus tard « l’organisation du travail », et les meneurs populaires les plus véhéments n’ont même pas soupçonné qu’une issue pouvait s’ouvrir un jour par où les salariés s’évaderaient du salariat.

Du moins la question des subsistances offrait-elle aux prolétaires un point d’appui particulier ? Et en demandant du pain à la Révolution bourgeoise, les foules ouvrières affamées vont-elles se dresser comme une force antagoniste en face de la bourgeoisie ? Pas le moins du monde. Si paradoxal que cela puisse paraître aux esprits inattentifs, la question des subsistances est trop vitale, trop poignante pour être proprement une question sociale : elle est si élémentaire, si impérieuse qu’il n’y a pas un gouvernement, qu’elle qu’en soit la forme, pas une classe dominante quel qu’en soit l’égoïsme qui ne soient obligés de pourvoir à la nourriture des hommes.

La monarchie déjà, particulièrement sous Louis XVI, y employait beaucoup d’efforts et beaucoup d’argent. En tout cas, il n’y avait rien dans la conception et les intérêts de la bourgeoisie révolutionnaire qui l’empêchât de pourvoir avec vigueur à l’approvisionnement des cités et à l’alimentation du peuple.

Elle pouvait combattre violemment les accapareurs, les monopoleurs : elle pouvait réquisitionner les blés chez le cultivateur et le fermier : en vertu même de la conception juridique bourgeoise si nettement formulée par Lindet, le grand commissaire aux vivres de la Convention, si la nation avait le droit, moyennant une juste indemnité, d’exproprier les citoyens de leurs propriétés dans l’intérêt public, à plus forte raison avait-elle le droit de les contraindre, moyennant un juste prix, à céder les produits de ces propriétés.

Si on ajoute que la bourgeoisie révolutionnaire, au moment où elle libérait la terre de la dîme et des droits féodaux et où elle livrait aux laboureurs et fermiers une partie du vaste domaine ecclésiastique, se croyait surabondamment autorisée à exiger en retour la livraison régulière du blé sur le marché et même à en taxer le prix, on comprendra sans peine que la question des subsistances n’ait pu susciter dans le peuple un mouvement vraiment prolétarien.

Au contraire, le peuple a toujours eu une tendance marquée à imputer toutes les difficultés d’approvisionnement, la rareté ou la cherté des vivres, aux manœuvres des ennemis de la Révolution cherchant à la prendre par la famine. La question du pain a donc été comme un ferment dans la Révolution bourgeoise ; elle n’a pu servir de support à un mouvement vraiment socialiste et ouvrier.

On cherche d’ailleurs en vain à quels centres de groupement le prolétariat parisien aurait pu se rattacher en 1789. Je n’ai pas trouvé traces à cette date, de l’action des sociétés de compagnonnage. Il semble qu’elles auraient