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HISTOIRE SOCIALISTE

Paris, les forces proprement industrielles et commerciales, quoique constituées en corporations solides, n’apparaissaient point comme les éléments essentiels de la cité aussi distinctement qu’à Lyon, Nantes, ou Bordeaux. C’est une des raisons pour lesquelles le régime électoral pour les députés aux États-Généraux ne fut point le même à Paris que dans les autres villes. Non seulement dans l’article 29 du règlement qui applique la fameuse lettre royale de convocation du 24 janvier, il est dit que la ville de Paris députera seule directement aux États-Généraux, sans passer par l’intermédiaire du bailliage et de la prévôté, mais le mode de votation est tout différent. Les articles 26 et 27 du règlement font, dans les grandes villes, deux grandes catégories d’électeurs. Il y a d’abord ceux qui appartiennent aux corporations d’arts et métiers ou aux corporations d’arts libéraux, comme celles des négociants et armateurs ; et en général « tous les autres citoyens réunis par l’exercice des mêmes fonctions et formant des assemblées ou des corps autorisés » ; il y a ensuite, selon les termes de l’article 27 « les habitants composant le tiers état, qui ne se trouveront compris dans aucun corps, communauté ou corporation » ; ceux-là s’assemblent tous et votent tous à l’hôtel-de-ville.

Ainsi, dans toutes les autres villes, la vie corporative fournit si je puis dire, le moule électoral. Au contraire, à Paris, la division électorale est purement géographique : la capitale est divisée en soixante districts, correspondant à soixante quartiers : et dans les assemblées de quartier, tous les membres du Tiers-État, quelle que soit la corporation à laquelle ils appartiennent, ou s’ils n’appartiennent à aucune corporation, sont confondus. Voici d’ailleurs le texte du règlement du 15 avril, en son article 12, relatif à cet objet : « L’assemblée du Tiers-État de la ville de Paris se tiendra le mardi 21 avril ; elle sera divisée en soixante arrondissements ou quartiers. Les habitants composant le Tiers-État, nés français ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans, et domiciliés, auront droit d’assister à l’assemblée déterminée par le quartier dans lequel ils résident actuellement, en remplissant les conditions suivantes, et nul ne pourra s’y faire représenter par procureur.

Article 15. Pour être admis dans l’assemblée de son quartier, il faudra pouvoir justifier d’un titre d’office, de grades dans une faculté, d’une commission ou emploi, de lettres de maîtrise, ou enfin de sa quittance ou nantissement de capitation montant au moins à la somme de six livres en principal. »

Ainsi à Paris, c’est toute la bourgeoisie mêlée, capitalistes, financiers, rentiers, savants, magistrats, industriels, marchands, artisans aisés, qui est convoquée en chaque quartier. Évidemment, c’est surtout l’immensité de la ville qui a suggéré ou imposé cette disposition. Il était malaisé de réunir en un même point tous les membres d’une même corporation disséminés dans la vaste cité. Il eut été plus difficile encore de concentrer à l’Hôtel de Ville, en une seule assemblée électorale tous les habitants de Paris, rentiers, finan-