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HISTOIRE SOCIALISTE

Et, Mercier constate les rapides fortunes des grands entrepreneurs. « Les maçons ont dû faire fortune, aussi sont-ils tout à fait à leur aise après quelques années de travaux. Aucun métier n’a été plus lucratif que le leur ; mais le pauvre Limousin qui plonge ses bras dans la chaux, semblable au soldat, reste au bout de dix années toujours pauvre, tandis que le maçon qui voit la truelle mais qui ne la touche pas, visite en équipage les phalanges éparses de son régiment plâtrier et ressemble à un colonel qui passe une revue. »

Financiers, bourgeois enrichis, capitalistes triomphants « champignons de la fortune » voulaient faire vite et pour répondre à leur impatience l’art du bâtiment inventait des procédés rapides. « La salle de l’Opéra a été construite en 75 jours ; le pavillon de Bagatelle en six semaines ; Saint-Cloud a changé de face en peu de mois. — On vient d’imaginer tout récemment une nouvelle construction qui économise les charpentes en grosses poutres ; jusqu’alors on donnait aux charpentes une pesanteur inutile et qui écrasait les bâtiments. »

Et qu’on n’imagine point que le tableau de Mercier est l’œuvre à demi fantaisiste d’un moraliste qui note avec une curiosité malicieuse les progrès du luxe. On peut lui reprocher au contraire de n’avoir pas donné une sensation assez forte de la prodigieuse transformation qui s’accomplissait à Paris dans la deuxième moitié du xviiie siècle. J’emprunte à M. Monin (État de Paris en 1789) un résumé des travaux de voirie : et encore ce résumé est très incomplet. Quand on lit la description des quartiers de Paris publiée par Jaillot au début du règne de Louis XVI, on est étonné de l’énorme travail de construction urbaine commencé depuis la Régence : et il va s’accélérant sous Louis XVI. « On sait, dit M. Monin, que depuis deux siècles environ, Paris s’est surtout développé sur la rive droite. Cela tient à l’éloignement relatif des hauteurs… Mais longtemps le grand égoût (ancien ruisseau de Ménilmontant) avait fait reculer les habitations. C’est seulement après que Michel-Étienne Turgot, prévôt des marchands l’eut recouvert de voûtes maçonnées et en eut assuré le curage régulier par l’établissement d’un réservoir supérieur (1740) que commencèrent à se transformer les terrains de la Grange-Batelière, des Porcherons, de Ville l’Évêque et du Roule. Les anciens marais devinrent des jardins d’agrément, par le moyen de terres rapportées. La Chaussée d’Antin se peupla ; après les rues de Provence et d’Artois (aujourd’hui rue Laffitte), furent ouvertes la rue Neuve des Mathurins (1778), la rue Neuve des Capucines (aujourd’hui rue Joubert, 1780), la rue Saint-Nicolas (1784). Signalons encore sur la rive droite, à l’ouest, la rue d’Artois (1775), la rue du Colisée (1779), la rue Matignon (1787) d’abord nommée rue Millet, du nom du premier particulier qui y fit construire ; au centre et au nord, la rue de Chabanais, en vertu des lettres patentes obtenues par le marquis de Chabanais (1773), la rue de Louvois, en vertu de lettres patentes accordées au marquis de Louvois (1784), la rue de Tracy (1793) ; les rues de Hauteville, de