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HISTOIRE SOCIALISTE

artisans et ouvriers aux suggestions des privilégiés qui affectaient dès les premiers jours de prendre la défense du pauvre peuple affamé ? Il est donc infiniment probable que le faubourg Saint-Antoine avait autant de bien-être qu’en comportait l’ancien régime : ce n’est pas du fond de la misère qu’est montée la Révolution : et la popularité facile dont jouira le grand brasseur Santerre, atteste bien qu’ouvriers, artisans, chefs d’industrie étaient animés de la même passion, du même mouvement, et que la bourgeoisie industrielle, là comme ailleurs, était dirigeante.

Seule, l’émeute populaire contre le très riche marchand de papiers peints du faubourg Saint-Antoine Réveillon, semble indiquer un commencement d’antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat. Mais cet incident est resté une énigme très obscure et probablement indéchiffrable. Réveillon était un des bourgeois de 1789 qui s’étaient le plus fortement prononcés pour les droits du Tiers-État, pour la convocation des États généraux, pour le doublement du Tiers : et il était dans son district un des électeurs les plus influents.

C’est juste au moment où les électeurs parisiens tardivement convoqués, procédaient en hâte au choix de leurs députés que le soulèvement éclate. Le 27 août, le bruit se répand que Réveillon, dans l’assemblée des électeurs a demandé que les salaires ne soient que de 15 sous. Au prix où était le pain, c’était pour les ouvriers la mort par la famine. Avait-il réellement tenu ce propos imprudent et odieux, et la caisse de secours qu’il avait fondée pour ses ouvriers n’était-elle qu’une ruse de fausse philanthropie cachant une exploitation abominable ? Il semble plus probable d’après les récits du temps que le sens de son malencontreux propos était tout autre. Il avait demandé que le prix du blé fût abaissé de telle sorte que l’ouvrier pût vivre avec 15 sous par jour. Il obéissait à la préoccupation de la plupart des industriels du dix-huitième siècle : ils étudiaient la question du blé au point de vue de la répercussion du prix du pain sur les salaires. Mais il était aisé de donner à cette phrase un autre tour, et la commotion fut très vive dans Paris. Toute une troupe menaçante et armée de pierres se porta sous les fenêtres de la maison de Réveillon, brûla Réveillon en effigie, puis pilla la maison même et défila sur la place de Grève en poussant des cris de mort.

Le lendemain, dans la rue Saint-Antoine, les soldats convoqués seulement après 24 heures, firent feu sur le peuple et couchèrent plusieurs victimes sur le pavé de la rue. Quel était au juste le mobile et le sens de ce mouvement ? Michelet, arguant de la longue inaction des soldats pendant tout un jour conjecture que si la Cour n’a pas fomenté le mouvement, du moins elle l’a laissé se développer complaisamment afin d’effrayer Paris et la France, au moment même où les États généraux allaient se réunir, et de tenir plus aisément en mains les députés. Il y a eu tant de duplicité et de rouerie dans la conduite royale qu’on ne peut s’interdire absolument cette hypothèse. Camille Desmoulins déclare sans hésiter, que les violences des 27 et 28 avril