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HISTOIRE SOCIALISTE

narchie ; le crédit du savoir, toujours d’autant plus grand que la masse des hommes est plus ignorante, y donne naissance à la première aristocratie, celle des vieillards, des prêtres, des devins, des médecins, origine des brames, des druides, des augures ; en un mot, de toute aristocratie fondée sur la science, qui partout a précédé celle des armes et celle de la richesse, et qui, dès l’origine de la société, acquiert toujours un grand pouvoir par quelques services réels soutenus d’un grand accessoire de tromperie.

« Lorsque l’accroissement de la population fait sentir à l’homme le besoin d’une subsistance moins précaire et plus abondante, il sacrifie pour exister une portion de son indépendance, il se plie à des soins plus assidus ; il apprivoise des animaux, élève des troupeaux et devient peuple pasteur. Alors la propriété commence à influer sur les institutions ; l’homme attaché au soin des troupeaux n’a plus toute l’indépendance du chasseur ; le pauvre et le riche cessent d’être égaux, et la démocratie naturelle n’existe déjà plus. La nécessité de protéger et de défendre les propriétés oblige de donner plus d’énergie à toute autorité militaire et civile : ceux qui en disposent attirent les richesses par le pouvoir, comme par les richesses ils agrandissent le pouvoir et le fixent dans leurs mains ; enfin, dans cet âge des sociétés, il peut exister des conditions où le pouvoir aristocratique ou monarchique acquiert une extension illimitée : des exemples pris dans plusieurs régions asiatiques le prouvent…

« Enfin les besoins de la population s’accroissant toujours, l’homme est obligé de chercher sa nourriture dans le sein de la terre ; il cesse d’être errant, il devient cultivateur. Sacrifiant le reste de son indépendance, il se lie pour ainsi dire à la terre et contracte la nécessité d’un travail habituel. Alors la terre se divise entre les individus, la propriété n’enveloppe plus seulement les troupeaux qui couvrent le sol, mais le sol lui-même ; rien n’est commun bientôt les champs, les forêts, les fleuves même, deviennent propriété ; et ce droit, acquérant chaque jour plus d’étendue, influe toujours plus puissamment sur la distribution du pouvoir.

« Il semblerait que l’extrême simplicité d’un peuple purement agricole devrait s’accorder avec la démocratie, cependant un raisonnement plus approfondi et surtout l’expérience prouve que le moment où un parvenu à la culture des terres et où il ne possède pas encore cette industrie manufacturière et commerciale qui lui succède, est de tous les périodes du régime social celui où le pouvoir aristocratique acquiert le plus d’intensité.C’est à cette époque qu’il domine et qu’il subjugue presque toujours les influences démocratique et monarchique.

« Rarement, et jamais peut-être il n’est arrivé que la première distribution des terres se soit faite avec une certaine égalité. Si le partage a eu lieu sur une terre vierge et possédée par le simple droit d’occupation, le peuple ayant toujours quelques institutions politiques, quelques pouvoirs établis au mo-