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douceur. Les traduire serait vraiment les trahir ; et c’est à travers un symbolisme puéril et plat que nous verrions l’intérieur des forces. Les cercles du paradis, avec leurs flammes et leurs rayons, avec leurs splendeurs jaillissantes ou voilées ne seraient bientôt plus qu’un feu d’artifice. Mais la sensation comme le mouvement est pénétrée d’être, et par là même de pensée ; elle n’est pas un langage artificiel ; elle a un sens propre, une vérité propre ; et il faut qu’il y ait harmonie de l’être qui est dans l’âme à l’être qui est dans la sensation pour que l’une traduise l’autre ; quand l’âme se répand dans la lumière du sourire, il y a accord entre l’état intime de l’âme et cette manifestation de l’être qui est la lumière ; l’âme, pour réjouir une autre âme, emprunte à l’être cette transparence infinie et douce qu’on appelle la clarté ; elle est déjà, en elle-même, lumière et douceur ; elle sourit avant le visage ; et c’est ainsi que l’âme, quand elle s’exprime par des sensations, s’exprime encore par soi ; même en se répandant elle ne perd pas son intimité ; et jusque dans sa transparence elle garde son charmant mystère, puisque cette transparence c’est encore elle et que, visible jusqu’en son fond, elle reste soi par cela même.

Ainsi le mouvement et la sensation, la science et la conscience vivante, peuvent pénétrer partout sans supprimer le mystère. De même que la force n’est pas quelque chose d’impénétrable et d’invisible, le mystère ne se confond pas avec l’inconnaissable. Il n’est pas une maison fermée, sur une ruelle sombre. C’est là du mystère de mélodrame, et la tragédie du monde peut se développer dans la sensation sans rien perdre de son charme étrange. La vérité n’est pas une lumière plate ; l’ombre aussi est une sensation et elle exprime pour les