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cercle, tout constellé de lueurs vivantes, et les pensées se réfléchissent d’âme à âme comme des rayons. Il y a un éblouissement des yeux comme des esprits. Ainsi, pour le Dante, cette sorte de secret brutal où s’enveloppent les âmes n’est pas une nécessité éternelle, mais, au contraire, une infirmité provisoire ; il suffit d’exalter la vie pour qu’elle se répande, et alors c’est par les éléments les plus purs du monde des sens que l’âme s’exprime et se communique. Il y a donc, pour le Dante aussi, jusque dans le monde des sens un principe secret de communication que pourra utiliser l’esprit ; il y a entre le monde des sens et l’esprit des harmonies cachées ; et nous, que faisons-nous autre chose, lorsque nous démontrons l’universelle liaison de l’être par le mouvement universel, qui est à la fois mouvement et force, action et étendue, esprit et matière, que de fonder sur la métaphysique et la science le grand rêve d’union visible et d’intime transparence que les âmes humaines ont rêvé ?

C’est parce que le mouvement n’est pas un fait brut, c’est parce qu’il tient à l’être par les liens que nous avons dits, qu’il ne peut être exclu d’aucune partie de l’être ; c’est parce qu’il est omniprésent qu’il ouvre un chemin à la sensation dans toutes les profondeurs de la vie ; et c’est parce que les sensations expriment les formes essentielles du mouvement, c’est-à-dire les fonctions essentielles de l’être, qu’elles peuvent pénétrer comme l’être lui-même l’intimité des forces et des âmes, et traduire ce que les consciences ont de plus mystérieux, sans le profaner. Si les sensations n’étaient que des signes arbitraires, des fantaisies de la sensibilité humaine, les âmes traînées à ce jour superficiel, banal et faux, y perdraient toute profondeur et toute