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presque en contact ; mais enfin ce n’est pas là le contact immédiat. Au reste ces moyens tels quels de communication peuvent tromper ; le sourire peut être faux, l’accent peut être faux, et il se mêle presque inévitablement à la parole des maîtres, des grands traducteurs d’âmes, un peu d’artifice involontaire. Mais même alors l’âme, par cela seul qu’elle est mouvement et qu’elle est en contact avec l’être universel, exprime incessamment son être. Elle peut nous tromper, nous éluder, mais toutes ses pensées, toutes ses émotions étant des mouvements s’inscrivent nécessairement dans l’ordre universel ; si bien que le secret où s’enveloppent les forces et les âmes est relatif à nous et provisoire. Au fond, elles ne contiennent pas de mystère indéchiffrable et éternel. À vrai dire, nous ne devons pas nous plaindre du secret où sont aujourd’hui enfermées les âmes : il les protège. Nous vivons encore dans un monde de luttes brutales et grossières ; les pensées naïves et fines, les sentiments délicats qui s’éveillent dans les jeunes âmes seraient bientôt froissés s’ils n’étaient abrités ainsi. Il y a une pudeur des âmes sans laquelle la tendresse et la délicatesse humaines n’auraient jamais pu éclore de la barbarie primitive ; et le secret est pour elles ce qu’est l’enveloppe protectrice pour le bourgeon. De plus le don qu’une âme fait de soi à une autre âme par la confiance absolue a plus de prix, puisque ce don est volontaire, puisqu’il n’y a pas entre les consciences une sorte de communication banale et forcée.

Mais il se peut qu’un jour les âmes, comme les bourgeons, s’ouvrent dans la pleine clarté. Dès maintenant, elles émeuvent, de leurs mouvements subtils, l’air pesant où elles s’expriment en harmonie, l’éther impondérable où leur sourire rayonne. L’organisme où elles