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donc pourrait-on les séparer ? Rien ne marque mieux la distinction de la puissance et de l’acte, et leur pénétration, que la distinction et la pénétration de l’étendue immuable et du mouvement : tous les points de l’immobilité éternelle tressaillent d’un mouvement éternel. C’est matérialiser l’étendue, c’est en faire une chose que de la mettre à part des activités dont la quantité homogène et continue est la condition ; c’est matérialiser le mouvement, c’est en faire une chose que l’introduire du dehors dans l’étendue, tandis qu’il réalise l’union grandissante de la puissance pure de l’être, symbolisée par l’étendue, à l’acte infini et divin. Au contraire, dans leur pénétration réciproque, le mouvement et l’étendue attestent l’unité vivante de l’acte et de la puissance dans l’infini : ils restent par là même fidèles à Dieu, et l’immensité mouvante est un aspect divin.

De même, c’est par une conception singulièrement grossière que l’on oppose parfois le mouvement à la force : il y a toujours du mouvement dans ce qu’on appelle la force ; il y a toujours de la force dans ce qu’on appelle le mouvement. La conception cartésienne, qui voyait partout des mouvements, reste vraie : il n’est pas possible de saisir une seule force qui ne soit en mouvement, qui ne soit du mouvement. Dira-t-on que le mouvement d’un corps qui rencontre de la résistance se transforme en chaleur ? Mais cette chaleur est un mouvement moléculaire interne : la chaleur n’est de l’énergie, de la force, c’est-à-dire de la possibilité du mouvement, que parce qu’elle est déjà du mouvement. Voilà un poids sur une table ; le poids, quoique sollicité par la pesanteur, ne tombe pas : il semble donc qu’il y ait là une force sans mouvement. Mais le poids fatigue