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infinie et qu’il doit partout retentir en elle, il n’y a nulle part puissance sans acte, c’est-à-dire étendue sans mouvement : c’est en ce sens qu’il n’y a pas de vide dans l’univers. Il n’y a pas comme un réseau de mouvements enveloppant dans ses mailles subtiles des lacunes d’immobilité.

S’il y avait des portions d’étendue sans mouvement, la quantité homogène et continue qui fonde la possibilité des communications, des relations de l’être, existerait indépendamment de ces communications : la puissance pure et indéfinie, dont l’étendue est le symbole, et qui est éternellement produite par l’acte infini, existerait indépendamment de cet acte. L’unité vivante de l’être serait brisée. Nous retomberions dans cette sorte de dualisme qui opposait la matière à Dieu, le principe passif au principe actif ; l’étendue serait comme un immense champ inerte que Dieu devrait labourer de mouvements pour l’ensemencer de germes précaires. Admettre qu’il y a des parties d’étendue sans mouvements, c’est substituer dans le monde la juxtaposition de la puissance pure et de l’acte à leur fusion ; il est impossible d’admettre également la préexistence de l’étendue inerte et vide au mouvement, à la réalité proprement dite. Le Dieu de Milton dit avant la création : « L’abîme est infini, parce que je suis. » Mais si l’infinité de l’abîme est le déploiement de l’infinité de l’être divin, l’abîme est déjà plein de Dieu, c’est-à-dire d’action. Du reste, comme nous l’avons vu, l’étendue, par sa continuité même, par son unité toujours fuyante, toujours extérieure à soi, semble appeler et préfigurer le mouvement ; il y a, dans son immobilité, un tourment vague qui est déjà du mouvement. L’acte fonde la puissance, et la puissance aspire à l’acte : comment