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ne veut point exister à l’état de perfection brute et toute donnée, qu’il se remet lui-même en question, se livrant en quelque sorte à l’effort incertain du monde, se faisant pauvre et souffrant avec l’univers pour compléter, par la sainteté de la souffrance volontaire, sa perfection essentielle ; le monde est en un sens le Christ éternel et universel. Il y a donc pénétration du monde et de Dieu, et dans la puissance infinie de l’être qui se déploie, et dans l’intimité morale et religieuse des consciences qui se recueillent ; donc quand nous parlons de l’être, ce n’est pas une notion abstraite et vaine ; c’est l’acte de Dieu, c’est aussi sa puissance ; c’est la plénitude et c’est aussi l’aspiration ; c’est la certitude, et c’est aussi le mystère. C’est l’unité de l’acte et de la puissance dans l’infini qui donne à l’être cette profondeur et cette richesse ; par suite les manifestations ou les phénomènes du monde qui participent à l’être : l’étendue, le mouvement, prennent aussi d’emblée une étrange profondeur de vérité et de mystère.

C’est avec l’être, considéré surtout comme puissance, que l’étendue a rapport. L’étendue pure est indéterminée comme l’être pur ; elle n’a point de forme, de figuration particulière comme il n’a point de qualité spécifiée ; elle accueille toutes les formes et toutes les figures comme il se prête à toutes les qualités. L’être pur est partout identique à lui-même ; il est l’être en toutes ses parties : de là son immensité ; car où trouver la raison d’une limite dans l’homogénéité absolue ? L’étendue aussi est en chacun de ses points ce qu’elle est eh tous : de là son infinité. L’être pur est immuable et indestructible ; l’étendue traversée par l’innombrable multiplicité des formes changeantes ne change pas ; et, pas plus qu’une parcelle de l’être ne se perd dans une