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l’on définisse les rapports de la puissance à l’acte, tout acte dans les êtres finis présuppose une puissance correspondante. Et pourtant l’activité universelle ne peut pas reposer en dernière analyse sur de simples puissances. Supposez que le monde soit le développement, la mise en acte d’une puissance primitive qui ne serait qu’une puissance, nous tombons dans des contradictions insolubles. S’il n’y a à l’origine même des choses qu’une tendance, qu’une aspiration, d’où vient cette tendance, cette aspiration ? Si elle est finie, d’où vient qu’elle a tel degré plutôt que tel autre ? Si elle est infinie, est-ce qu’une aspiration infinie ne suppose pas un être infini réalisé, vivant, actuel ? De plus, cette puissance primitive est plus ou moins voisine de l’acte ; cette aspiration primitive est plus ou moins près d’aboutir à une réalisation. Or, qu’est-ce qui détermine la distance plus ou moins grande de cette puissance à l’acte ? Rien ; c’est donc mettre le néant même sous la forme de l’irrationnel à la base des choses ; et enfin comment et par quoi la puissance est-elle sollicitée de passer à l’acte ? Donc, si dans l’être fini, l’acte présuppose la puissance, dans le tout la puissance présuppose l’acte ; c’est un acte infini, je veux dire l’être infini réalisé, actuel, qui soutient le monde.

L’être infini n’est pas en voie de réalisation, il est d’emblée la plénitude de l’être ; l’infini ne devient pas, il est, car quelle puissance finie pourrait parvenir à l’infini ? Et l’infinité de l’être est présente réellement, actuellement à toutes les parcelles de la réalité. Si l’être n’était pas présent avec son infinité dans ce que nous appelons l’atome, comment cet atome pourrait-il se prêter aux évolutions innombrables, aux développements infinis qu’implique le mouvement éternel de trans-