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ne s’évanouisse pas dans l’indifférence de la quantité abstraite, elle se manifeste dans la sensation qui, en tant que telle, est irréductible à la quantité pure. Ainsi, le mouvement étant à la fois une grandeur et une forme, tient d’un côté à la quantité, de l’autre à l’essence. Il est le point de rencontre de la quantité et de la qualité ; et voilà pourquoi ni il ne peut être confondu avec la sensation, ni il ne peut être séparé d’elle ; et l’intuition sensible, qui unit et démêle tout à la fois la sensation et le mouvement, va au fond même de la vérité.

On voit par là combien est grossière et naïve la conception de l’idéalisme subjectif : elle est grossière, parce qu’elle traite le mouvement comme une chose que l’on peut mettre à part et qu’il n’est pas une chose ; elle est naïve, parce qu’elle renferme une évidente contradiction. L’idéalisme scientifique nous dit : Figurez-vous d’un côté le mouvement, de l’autre la sensation ; quel rapport y a-t-il ? Mais je ne puis me figurer le mouvement qu’en me représentant une trace distincte dans un espace vaguement éclairé ; et le mouvement ainsi entendu, au lieu d’être le contraire de la sensation, n’est qu’un minimum de sensation. Bien loin que je puisse opposer le mouvement que je me représente à la sensation, j’ai besoin d’un reste de sensation pour me représenter le mouvement. Dès que je dépouille le mouvement de tout élément sensible, il ne peut plus être objet d’imagination : il n’est plus qu’une conception, une idée ou un système d’idées. De même l’étendue, si nous la dépouillons de tout élément sensible, si nous faisons disparaître tout ce qui est lumière, obscurité, son, parfum, chaleur, résistance, ne peut plus être ni perçue ni imaginée : elle peut seulement être conçue ; comme le mouvement qui lui est lié, elle devient une