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de Dieu. Seulement, cette lueur divine ainsi retrouvée pénètre maintenant pour nous jusque dans les profondeurs obscures de la matière : c’est du centre même de l’univers matériel où nous sommes enveloppés que nous la voyons reluire, comme si le Dante, par un nouveau voyage dans les abîmes intérieurs, et du fond même de ces abîmes, eût senti filtrer jusqu’à lui, à travers l’épaisseur obscure de la terre, la transparence infinie du ciel étoilé.

Si cette première réduction sommaire de l’univers matériel à l’être infini éveillait quelques scrupules dans les esprits positifs, je pourrais répondre que ce ne sont pas seulement les spéculatifs, les métaphysiciens de nature et d’habitude qui, en approfondissant l’idée de matière, arrivent à ces conclusions, qu’elles s’imposent même, comme je l’ai déjà indiqué, à ceux qui appliquent les méthodes scientifiques. N’est-ce pas un savant, M. Edmond Perrier, qui se demande comment, dans le monde réel, physique même, si l’on prend le mot en son vrai sens, la matière a apparu ? Or, que peut bien être cette réalité non matérielle d’où la matière proprement dite sortirait dans des conditions données, sinon l’être ? Mais il y a mieux. Les axiomes fondamentaux de la science : « Rien ne se perd, rien ne se crée ; il y a transformation incessante, mais jamais perte de mouvements, » supposent l’affirmation de l’être plein, absolu, indéfectible comme substance du monde dit matériel. Comment, en effet, la science peut-elle vérifier que rien ne se perd ? En constatant que le poids d’une matière donnée reste identique à travers toutes ses transformations : par exemple, un kilogramme d’eau solidifié en glace ou vaporisé pèse toujours un kilogramme ; mais cela suppose que la substance même qui sert de