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raison conçoit comme la substance ultime des choses, et que la science ne peut saisir nulle part, précisément parce qu’il est partout ? car la science ne saisit que ce qu’elle détermine, elle ne détermine que ce qu’elle isole, et elle ne peut isoler Dieu du monde parce qu’il en est l’intime et inséparable réalité. Ou bien, par une hypothèse inverse, nous pouvons toucher au fond même du mouvement, nous pouvons arriver à cette forme de mouvement au delà de laquelle il n’y a pas d’autre forme du mouvement. Nous dirons, par exemple, que la forme élémentaire et dernière du mouvement, ce sont les mouvements de l’éther, et qu’au delà de ces mouvements il n’y a plus que l’éther lui-même immense, immobile et dormant ; mais, qu’est-ce que l’éther séparé par la pensée des mouvements qui le déterminent ? il n’est pas coloré, il n’est pas sonore, il n’est pas odorant ; il n’est ni chaud ni froid, ni lumineux, ni sombre, puisque lumière et ténèbres, chaleur et froidure, résultent des mouvements de l’éther, et que nous faisons abstraction de ces mouvements. Il n’est pas résistant, puisque la résistance des corps est un effet de la cohésion de leurs mouvements ; il n’est point pesant, puisque la pesanteur est encore un effet de l’action de l’éther : il n’est point divisé en parcelles, puisque les atomes sont des formes de mouvement. Qu’est-ce à dire ? c’est que la science elle-même, en cherchant le support du mouvement matériel et l’élément dernier de la matière, nous a conduits jusqu’à une réalité qui n’a plus rien de matériel, qui n’est plus perceptible aux sens, qui n’existe plus que pour la pensée. Oui, si nous ne portions pas en nous, dans notre âme, l’idée d’être, et avec l’idée d’être, l’idée d’unité, d’immensité, de continuité homogène, l’éther ainsi dépouillé de tout mou-