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CHAPITRE II

le rêve et le cerveau


En rêve, nous voyons et sentons ce qui n’est pas comme s’il était. Pourquoi, dès lors, ce que nous appelons la réalité ne serait-il pas un rêve ? et qui nous assure, comme dit Descartes, qu’en ce moment même nous ne rêvons pas ? Mais pourquoi donc, à l’état de veille, avons-nous le soupçon que nous pourrions bien rêver ? Parce que nous nous rappelons avoir rêvé et avoir eu en rêve l’impression de la réalité. Ce premier doute implique donc l’existence de la mémoire. Si nous ne nous rappelions pas le passé, si nous ne pouvions pas comparer nos états successifs, si nous vivions uniquement dans l’impression présente, il n’y aurait pour nous ni rêve ni veille, et ces mots mêmes n’auraient pas de sens. Nous ne frappons donc la veille de suspicion provisoire, que parce que de la veille nous nous rappelons le rêve. Le rêve n’a été constaté par nous trompeur et vain que parce qu’il ne concorde pas avec les données d’un autre état, qui est l’état de veille. C’est donc du point de vue de la veille que nous déterminons et que nous jugeons le rêve ; et, bien loin que le rêve puisse, par une contagion logique, étendre à la veille sa vanité, le rêve n’est vain que parce que nous empruntons à la