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âmes vides comme des miroirs sans objet qui se réfléchiraient l’un l’autre. On supplée à la recherche par l’inquiétude ; cela est plus facile et plus distingué. Ou, si l’on a besoin d’une formule, on va la demander pour un moment à quelque mystique du moyen âge, comme ces paresseux imaginatifs qui, n’ayant point la force d’extraire de la terre des richesses nouvelles, essaient de retrouver sous les flots les trésors dormants des antiques naufrages. Quiconque n’a pas une foi ou besoin d’une foi est une âme médiocre ; quiconque a un système ou une doctrine pour appuyer sa foi est un lourd scolastique. De même, dans l’ordre social, on se plaît à parler de justice, à rêver de fraternité humaine, on a pour les humbles d’adorables attitudes de pitié. Mais si l’on se trouve devant les systèmes d’équité que les hommes de volonté et de cœur veulent faire prévaloir, on n’a que dédain pour les chimériques et l’attendrissement se nuance d’ironie ; l’arc-en-ciel mouillé de pleurs envoie dans l’espace ses flèches caustiques. C’est une ère d’impuissance raffinée et de débilité prétentieuse qui ne durera pas ; la conscience humaine a besoin de Dieu et elle saura le saisir malgré les sophistes qui n’en parlent que pour le dérober ; la société humaine a besoin de justice fraternelle et elle saura y parvenir malgré les sceptiques attendris qui ne demandent qu’une chose à la douleur universelle : un reflet de mélancolie douce sur leur propre bonheur. La scolastique prendra sa revanche, si l’on entend par là l’effort de l’esprit et cette netteté d’idées sans laquelle il n’est pas de conduite loyale.