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du subjectivisme, directement combattues, confirmeront cette réalité même. Mais peut-être est-il inutile de nous donner tant de mal. M. Renan nous apprend qu’il a, dès les premiers jours, mis dans un parc de réserve les objections de l’idéalisme subjectif. Pourquoi ne pas faire comme lui ? pourquoi ne pas goûter sans scrupules ni tourments la beauté de l’univers ? À vrai dire il est commode d’enfermer ainsi dans l’outre d’Éole les souffles qui flétrissent l’éclat des fleurs et la splendeur du soleil. Mais qui sait si les doutes ainsi écartés ne reviendront pas soudain nous troubler dans nos joies d’artistes ? Et puis la contemplation artistique du monde est bien vaine et fatigante si elle n’atteint pas une vérité. Quand on renonce à la lutte de la raison avec les choses, on ne tarde pas à glisser dans les puérilités de l’impressionisme. Il semble qu’il y ait en France, depuis deux générations, une sorte d’abandon d’esprit et une diminution de virilité intellectuelle. On veut se plaire aux choses ou aux apparences des choses beaucoup plus que les pénétrer et les conquérir. Dieu, l’univers, l’infini sont devenus des formules littéraires qu’aucune pensée forte ne remplit. Il y a, à l’heure actuelle, comme un réveil de religiosité, on rencontre partout des âmes en peine cherchant une foi, à moins que ce ne soient des plumes en peine cherchant un sujet. On a besoin de croire, paraît-il ; on est fatigué du vide du monde, du néant brutal de la science : et on aspire à croire… quoi ? quelque chose, on ne sait ; et il n’y a presque pas une de ces âmes souffrantes qui ait le courage de chercher la vérité, d’éprouver toutes ses conceptions et de se construire à elle-même, par un incessant labeur, la maison de repos et d’espérance. Aussi on ne voit que des âmes vides qui se penchent sur des