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un sens, de la vie, qu’à condition que notre âme s’y unisse et y répande, en secret, son propre mouvement. On peut donc dire, en ce sens, que c’est le mouvement de notre âme qui fait le mouvement du nuage, comme il fait le mouvement de notre corps. Mais il n’y a pas là un rapport organique grossier. C’est dans la sphère purement cérébrale que toutes ces relations se nouent ; et dire que l’âme devient nuage, c’est réveiller l’organisme qui dormait, c’est faire évanouir le charme délicat d’une liberté indéfinie. Mais il reste vrai que le moi n’est plus circonscrit à son propre organisme, que le cerveau, dans l’ordre même du mouvement, est beaucoup plus vaste que notre corps, et contient des richesses que le corps ne suffit point à manifester. Ainsi, nous voyons peu à peu le moi s’élargir et déplacer son centre de l’organisme individuel, où il est d’abord comme enfermé, vers la liberté immense du monde. N’étant plus lié indissolublement à un organisme spécial, et pouvant devenir l’âme légère de toutes les forces, il se rapproche de la conscience divine, qu’aucune forme n’emprisonne, mais qui est présente à toutes les formes. Et nous commençons à concevoir qu’il puisse y avoir, en dehors des consciences individuelles et organiques qui naissent et meurent, emportant avec elles leur vision des choses, une conscience idéale et vivante de l’univers, n’ayant d’autre centre que l’infini lui-même, et assurant, à toutes les manifestations sensibles, la lumière, le son, le parfum, une réalité éternelle. Si le cerveau est plus vaste que le corps, dans l’ordre même du mouvement, à plus forte raison dans l’ordre de la perception, car nous avons déjà vu qu’il y a des perceptions, comme celles de la lumière et du son, de la lumière surtout, dont l’essence même est d’être indépendantes de l’orga-