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forme, limité dans ses moyens de locomotion. Il se peut donc fort bien qu’il ne puisse pas traduire extérieurement des mouvements figurés dans le cerveau. Ainsi, lorsque nous suivons des yeux l’oiseau qui, dans l’espace, plane ou bat des ailes, tourne, monte et redescend, ce n’est pas là, pour nous, une vision inerte. Nous sentons, à je ne sais quel frémissement et quel élan intérieur, que nous sommes avec l’oiseau. L’image de son mouvement éveille en nous, à quelque degré, son mouvement même. Je dis en nous, mais ce n’est pas dans notre organisme. Il est bien vrai qu’il pourrait, dans une certaine mesure, mimer le mouvement de l’oiseau. Il y a, entre tous les êtres, de gauches analogies : nous pourrions battre des bras quand il bat des ailes ; nous hausser sur la pointe des pieds, et tendre de tout notre corps vers les hauteurs de l’espace pour nous élever avec lui ; mais cette mimique est bien artificielle et passablement ridicule. Elle peut nous servir, en certaines occasions, à décrire le mouvement de l’oiseau ; elle ne nous sert pas à le sentir, si je puis dire, à le comprendre et à le refaire intérieurement. Dans la joie de la contemplation poétique, notre corps est réduit à l’immobilité, et les impressions délicieuses et profondes ne se traduisent guère extérieurement. Ainsi, ce n’est pas par un ressouvenir plus ou moins vague et artificiel de notre organisme et des mouvements qui lui sont propres que nous comprenons le mouvement de l’oiseau. L’oiseau a en nous son mouvement qui est bien à lui. Et comme ce mouvement est indépendant de tous les mouvements de notre organisme, comme il existe sans eux, ce mouvement de l’oiseau, quoique étant en nous, quoique étant figuré et réalisé dans notre cerveau, nous apparaît comme extérieur à nous, et il l’est en