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l’être a fondé la puissance infinie de l’être ; c’est parce que Dieu, en faisant l’univers, s’est livré à lui ; c’est parce qu’il a dispersé son unité en des centres multiples, pour retrouver cette unité par l’effort, et pour se mériter lui-même, que la pensée, même la plus vaste, même la plus voisine de Dieu par l’idée du parfait et le sentiment de l’infini, est liée à un corps et à un sentiment organique. De plus, l’activité divine n’est pas dans le monde à l’état d’activité pure, d’activité absolue. Elle se déploie dans la puissance. Si un acte quelconque absorbait toute la puissance d’être que sa forme enveloppe, ce serait un acte absolu, un acte divin, et l’univers, par cette trouée divine, s’engloutirait en Dieu. Si un acte de pensée absorbait toute la puissance d’être qu’il enveloppe, il serait un acte de pensée absolu et divin ; mais aucun acte de pensée dans le monde n’épuise la puissance infinie de l’être. Et la preuve, c’est qu’une même idée peut être pensée par nous avec une intensité plus ou moins grande. Je puis penser à un triangle fortement ou faiblement, avec une attention énergique ou molle, en faisant apparaître ou en laissant dans l’ombre les propriétés dérivées qui sont contenues dans son essence. Il y a de la quantité dans nos pensées comme il y en a dans nos sensations. Et pour le dire en passant, ceux qui suppriment la quantité dans le monde réduisent les actes de pensée à des formes pures, à des actes purs. Et, dès lors, il leur est impossible d’expliquer comment cette pensée pure est localisée par nous dans un organe. Ils ont rompu tout lien de la pensée et de l’étendue. Au contraire, nous qui reconnaissons, jusque dans la pensée, de la quantité, de la puissance d’être, et une puissance d’être que l’acte de pensée n’épuise jamais, nous comprenons que la