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-mêmes ? Par la profession que nous exerçons et par les événements auxquels nous avons été mêlés. Quand nous nous disons à nous-mêmes : je suis moi, cela veut dire : j’ai fait ceci, j’ai subi ou accompli tels ou tels événements, et je me trouve à l’heure actuelle dans telle ou telle condition. Mais tout cela serait impossible si nous n’avions pas un corps. Quand nous nous rappelons le passé, nous nous rappelons au fond avoir été présents de corps à tel ou tel spectacle, avoir pris part de corps à telle ou telle action. On a dit : nous ne nous souvenons que de nous-mêmes. On pourrait dire aussi en un certain sens : nous ne nous souvenons que de notre corps. J’ai déjà montré plus haut que nous avions de notre pensée, même la plus abstraite, en même temps qu’une conscience intellectuelle, une conscience cérébrale. Quand nous avons une idée, par exemple l’idée d’homme ou de triangle, nous avons conscience de cette idée, de son contenu, de son rapport logique à d’autres idées, par exemple l’idée d’animal ou l’idée de figure : c’est là ce que j’appelle la conscience intellectuelle. Mais en même temps nous sentons que cette idée est comme élaborée dans notre tête et qu’elle correspond à un travail organique du cerveau ; c’est là ce que j’appelle la conscience cérébrale ou la conscience organique de la pensée. Comment et pourquoi la pensée, qui dépasse si infiniment notre organisme, qui peut s’élever à l’invisible, à l’idéal, au parfait, est-elle liée à un sentiment organique ? Comment prend-elle la forme de notre corps ? Grand problème ! le plus haut peut-être que la métaphysique puisse toucher. Dans cette union de la pensée et du corps apparaît une fois de plus cette sorte d’incarnation divine qui est pour nous le dernier mot de l’univers. C’est parce que l’activité pure et infinie de