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fait qu’un, pour ainsi dire, avec notre volonté elle-même. Nous n’aurions pas la conscience claire que nous voulons remuer le bras, si nous ne sentions pas le bras se remuer. La velléité de mouvement ne devient vouloir que dans l’acte même du mouvement ; et, d’autre part, jusque dans le mouvement qu’accomplit mon bras, je sens se prolonger l’effort interne de ma volonté. De plus, pour accomplir un mouvement, pour remuer la main, par exemple, il faut que je me représente ce mouvement et la main elle-même. Mais il ne s’agit pas là d’une représentation visuelle. L’aveugle de naissance, qui n’a jamais vu son corps, le meut avec précision ; et nous-mêmes, nous n’avons nul besoin de nous représenter l’image visuelle de nos organes pour les mouvoir. Mais notre corps est présent en quelque sorte à notre conscience, à notre moi, par une représentation organique constante. Nous avons tout d’abord le sentiment confus de notre vie, de l’activité sourde de nos organes ; et ce sentiment se précise par les mouvements ou spontanés ou volontaires que nous faisons. Ainsi, le corps est continuellement présent au moi, et c’est au moyen de cette représentation sourde du corps qu’il porte en lui-même, que le moi peut diriger son action sur telle ou telle partie du corps et la mouvoir en effet. Ainsi, le moi et le corps se pénètrent, et, en un sens, ne font qu’un dans l’ordre du mouvement. Les passions et les sentiments intimes du moi prennent aussi la forme du corps. Un psychologue paradoxal a prétendu que nous n’aurions aucune notion et même aucun sentiment des émotions diverses qui naissent en nous, si nous n’avions conscience des modifications organiques qui leur correspondent ou même qui les constituent. Que seraient pour nous la joie et la douleur,