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de Copernic, car la philosophie n’avait jamais fait du moi humain le centre des choses ; elle avait tout rapporté à Dieu comme au seul centre véritable, et Copernic n’a fait, en révolutionnant le système du ciel, que le conformer au système de la pensée et que subordonner la terre, demeure de l’homme, au centre divin d’attraction vers lequel l’âme de l’homme, spontanément et dès l’origine, s’était portée. Et aujourd’hui, de même que nous ne pouvons observer l’infini sans la terre et comprendre la terre sans l’infini, nous ne pouvons connaître Dieu sans le moi et comprendre notre moi sans Dieu. Il n’y a pas d’effort d’abstraction qui puisse isoler la terre de l’infini ; il n’en est point qui puisse isoler le moi humain de Dieu. Mais ce n’est pas à un centre physique et grossier d’attraction que la terre est soumise, c’est à un centre idéal et divin qui est présent et agissant en elle, comme il est présent et agissant partout. En sorte que, par sa soumission à l’infini, la terre redevient centre, en un sens plus haut ; elle n’est pas subordonnée à une autre partie du monde ; elle est libre en Dieu et par Dieu. De même, le moi humain ne relève pas de la conscience divine comme d’un autre moi particulier et déterminé. Le moi humain n’est pas la conscience absolue, mais la conscience absolue est en lui comme elle est partout. C’est la superstition philosophique ou religieuse qui fait de Dieu un autre moi particulier et clos, analogue et extérieur au nôtre, et dont le nôtre serait esclave, comme c’était la superstition astronomique qui faisait, d’une partie du monde, la terre, analogue et extérieure aux autres parties du monde, le centre dont tout dépendait. Rendre à l’univers son immensité, c’est affranchir tous les astres qui se meuvent en lui ; rendre à Dieu son immensité, c’est