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tout entier, et il y aurait toujours dans l’être un résidu de puissance que l’acte n’assimilerait pas. Au contraire les trois dimensions s’expliquent et se justifient aisément. Si l’espace se réduisait à une dimension, il se réduirait non seulement à la ligne, mais à une ligne. Toutes les forces du monde, au lieu de s’acheminer librement vers un but idéal, suivraient toutes la même ligne fatale vers un but mathématiquement déterminé. Elles n’auraient d’autre ressource que de rebrousser sur cette ligne en s’éloignant absolument, radicalement du but. Un monde réduit à la ligne serait un monde de contrainte théologique où il n’y aurait de choix qu’entre l’esclavage du bien et la révolte radicale, le mal absolu. La ligne sans largeur ni profondeur ne représenterait que la sécheresse d’un dogmatisme intolérant. Il ne faut donc pas que la ligne idéale suivie par l’univers puisse jamais se confondre avec une ligne mathématique quelconque et que la loi vivante d’harmonie, d’amour réciproque, de vérité et de bonté puisse être figurée par un tracé géométrique. Il faut pour cela que les êtres puissent s’échapper en des directions innombrables et que l’axe du monde ne soit que la résultante idéale et oscillante de libres et innombrables mouvements. Donc il faut qu’en tout point d’une ligne quelconque toute force parvenue à ce point puisse sortir de cette ligne et la couper de façon à s’en éloigner le plus possible. Or la perpendiculaire à une droite est la ligne qui s’incline le moins sur cette droite, qui fait le moins amitié avec elle en deçà ou au delà de leur point d’intersection. Il faut donc qu’en un point quelconque d’une ligne toute force puisse s’échapper suivant la perpendiculaire ou plutôt suivant une perpendiculaire, car si elle n’avait le choix qu’entre la ligne première et une