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centre idéel et divin. Il n’y a point de sphère centrale, et si l’on s’établit en une quelconque de ces sphères pour observer l’infini, les observations ne sont exactes que si l’on sait d’abord que cette sphère même se meut dans l’infini et sous l’action de l’infini. Pour bien voir l’infini au point de vue de la terre, il faut donc d’abord avoir vu la terre du point de vue de l’infini. Je n’ai jamais bien compris, je l’avoue, la comparaison fameuse dans laquelle Kant rapproche la révolution intellectuelle, accomplie par lui, de la révolution astronomique accomplie par Copernic ; car Copernic a précipité la terre, jusque-là immobile, dans le système mouvant de l’infini. Elle n’est donc intelligible et réelle depuis Copernic que par l’infini, et celui qui accomplirait, en philosophie, une révolution analogue à celle de Copernic, serait celui qui, au lieu de s’appuyer tout d’abord sur le moi présumé immobile, ferait entrer le moi dans le système vivant de la conscience infinie. Car enfin, ou bien lorsqu’il soumet les choses à la législation du sujet pensant, Kant entend par là le moi humain, et alors il fait tourner l’infini autour de la terre, il va au rebours de Copernic ; ou bien il entend, par le sujet pensant, la pensée et la conscience absolue, avec ses conditions et ses lois d’unité auxquelles les choses se soumettent ; et alors c’est l’absolu lui-même sous la forme de la conscience et de la pensée ; c’est l’infini, c’est Dieu. Et cela revient à dire tout simplement que c’est autour de Dieu que tourne le monde ; que Dieu est le centre véritable de l’univers. Mais cela, ce n’est pas une découverte, ce n’est pas une révolution : c’est la philosophia perennis, c’est la religion éternelle. Il n’était point nécessaire de faire une révolution philosophique sur le modèle de la révolution astronomique