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cette idée, car il est cette idée elle-même. Du moment qu’il n’est subordonné ni au temps, ni à l’espace, et que tout ce qui paraît lui être extérieur vient de lui, il est l’infini, il est l’absolu ; et il ne déploie l’univers visible et indéfini que pour remplir cette idée d’infini avec laquelle il ne fait qu’un. Dès lors, comment retrouver le moi limité, particulier, humain ? Il faudrait admettre, pour cela, que le moi absolu, éternel, créateur, se dissémine en une multitude de centres, de consciences liées dans l’espace et la durée. Mais c’est admettre la réalité de l’espace et de la durée et la réalité de l’univers lui-même. Ainsi, bien loin que Descartes se serve de son moi pour démontrer Dieu et la réalité du monde, c’est en Dieu qu’il se transporte d’emblée et à son insu même ; et il se sert de la réalité du monde pour déterminer, dans le moi divin, des consciences particulières. L’ordre réel de cette démonstration est donc absolument contraire à l’ordre apparent et voulu ; malgré l’espèce de ruse intellectuelle qui a présidé à son dessein, malgré les artifices d’exposition qu’il a imaginés, sa méthode, au fond, est conforme à sa doctrine. Il n’aboutit à Dieu que parce qu’il part de Dieu, et son point d’appui n’est pas en lui-même, mais dans l’infini. Chose curieuse et qui n’est nullement préméditée de notre part : nous retrouvons exactement, dans Descartes lui-même, ce que nous avons déjà relevé dans l’idéalisme subjectif de M. Georges Lyon et dans le sot idéalisme cérébral de Schopenhauer. Il se trouve que Descartes, prétendant s’enfermer d’abord dans le sujet conscient, ne peut démontrer ce sujet conscient lui-même et lui donner un sens, qu’au moyen de l’infini préalablement affirmé. C’est ce qui était arrivé à M. Georges Lyon pour le moi, à Schopenhauer pour le