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le corps lui-même, tous les événements du passé qui pourraient bien n’être qu’un rêve de la mémoire hallucinée, tout est frappé de doute. Ce n’est donc pas le moi individuel qui s’affirme lui-même ; c’est le moi pensant en tant qu’il est indépendant du temps, de l’espace, de l’organisme, de l’univers étendu et figuré. C’est donc la conscience absolue en tant que telle ; c’est le moi premier et éternel ; c’est Dieu. Le moi, avant de s’affirmer lui-même, s’est élevé à l’infini, à l’absolu ; il est Dieu. La vraie difficulté, pour Descartes, — on ne l’a peut-être pas assez remarqué, — ne sera donc pas de trouver Dieu en partant du moi humain, mais au contraire de retrouver le moi humain en partant de Dieu. Descartes dit bien : « Je suis imparfait et fini ; ce n’est donc pas moi-même qui ai pu me donner cette idée de la perfection et de l’infini que je trouve en moi. Je suis imparfait et fini ; ce n’est donc pas moi-même qui me suis créé, car si j’avais eu le pouvoir de me créer, je me serais créé infini et parfait. » Mais, d’où le moi de Descartes sait-il qu’il est imparfait et fini ? Est-ce parce qu’il est attaché à un organisme limité et périssable ? mais cet organisme n’est peut-être qu’une illusion. Est-ce parce qu’il ne comprend pas les objets qui sont dans la nature, la raison de ces objets et la liaison des événements ? mais tous ces objets, tous ces événements, la nature elle-même et la durée elle-même ne sont peut-être qu’illusion. Dès lors, pourquoi mesurer la valeur du moi sur sa faculté plus ou moins grande de pénétrer les illusions et d’ordonner les rêves ? En fait, il est supposé produire et tirer de lui-même tout l’univers visible. Pourquoi ne produirait-il pas aussi, de son fonds, l’idée du parfait et de l’infini qu’il porte en lui ? ou plutôt, le moi n’a pas besoin de produire