Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/405

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quel droit appliquez-vous ainsi le principe de causalité, qui n’est peut-être qu’une illusion réglant d’autres illusions ? Descartes eût été enfermé à jamais dans le cercle subjectif qu’il avait tracé d’abord autour de lui. Mais ce principe de causalité restait comme une chaîne invisible, attachée à un point fixe du ciel, et il s’en est servi, dès qu’il était besoin, pour se hausser au-dessus de l’illusion subjective. Mais alors pourquoi ne pas reconnaître d’emblée que l’esprit est suspendu à une vérité éternelle ? En fait, il y avait dès le début deux centres dans la philosophie de Descartes, le moi où il prétendait s’enfermer par un vain artifice de dialectique, et ce point fixe de la voûte céleste auquel il allait bientôt rattacher lui-même, et toutes choses, par la chaîne de la causalité. Et non seulement, il laissait sans le dire l’infini et l’absolu subsister dans les hauteurs, contrevenant ainsi à sa méthode immédiate au profit de sa doctrine prochaine, mais dans le moi lui-même, il retrouvait l’absolu en profondeur, car il considère d’abord comme une illusion possible tout ce qu’il voit, tout ce qu’il touche : les objets, l’étendue et son propre corps. Et s’il ne dit pas expressément que le sentiment de la durée aussi peut être une illusion, on peut le conclure de tous les raisonnements appliqués aux objets et à l’espace. En tout cas il n’affirme pas non plus que la durée n’est pas une illusion. Mais, notre moi particulier, individuel, par quoi est-il déterminé pour nous ? Par notre position dans l’espace, c’est-à-dire par les relations de notre corps avec les autres objets, et par les événements où nous avons pris part et qui s’enchaînent dans la durée.

Or, pour Descartes, au moment où le moi s’affirme lui-même comme sujet pensant, l’étendue, les objets,