Page:Jaurès - De la realite du monde sensible, 1902.djvu/402

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fini. Ainsi, bien loin que l’on puisse séparer arbitrairement, comme le faisait Schopenhauer, le point de vue de la représentation et le point de vue de l’être, on ne peut vraiment comprendre les rapports du cerveau et de l’univers qu’en interprétant, les unes par les autres, les lois de la représentation et les vertus de l’être. Comment pourrais-je admirer l’énergie créatrice de l’être contenu dans le cerveau, si le cerveau ne m’apparaissait pas d’abord, dans l’ordre de la représentation et de l’espace, comme une parcelle futile et infinitésimale de l’immense univers ? Ainsi, le kantisme physiologique de Schopenhauer, qui a abaissé la haute subjectivité intellectuelle affirmée par Kant à une grossière subjectivité cérébrale, ne résiste pas à l’examen ; car, pour avoir le droit de dire que le cerveau crée l’espace, il faut d’abord avoir perçu le cerveau sous la raison de l’espace, et comme une quantité presque négligeable dans l’immensité. L’énergie productrice du cerveau ne nous est révélée, elle n’a même un sens que si l’espace nous est donné tout d’abord, et le cerveau en lui. Ce n’est donc pas le cerveau qui crée l’espace ; c’est l’espace qui manifeste le cerveau, et qui, en ce sens, le crée. Toute activité n’est déterminée en son fond, et intelligible, que par son rapport avec l’infini. Or, le cerveau n’a rapport avec l’infini du monde et de l’être que parce qu’il est lui-même de l’être ; et il n’affirme sa participation à l’être qu’en s’inscrivant comme représentation dans l’étendue infinie et une qui exprime l’unité infinie de l’être.

De cette discussion rapide de l’idéalisme du moi de M. Georges Lyon et de l’idéalisme cérébral de Schopenhauer résultent pour nous deux conclusions. Tout d’abord, on ne peut réduire l’univers, soit au moi, soit