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l’âme ; c’est supprimer toutes les pentes et tous les courants de la vie intérieure et immobiliser le moi, qui ne peut plus sortir de lui-même puisqu’il est tout, dans une stagnation éternelle. Ceux qui, en prononçant tout simplement le nom de Dieu, sentent qu’il est à la fois en eux et hors d’eux, sont beaucoup plus riches, dans leur humilité, que ceux qui appauvrissent l’homme jusqu’à faire entrer l’infini où il aspire dans l’enceinte équivoque du moi fini. En tout cas, nous avions le droit de signaler l’abus des termes et l’absence de définitions en un problème où, sans un essai de définitions rigoureuses, tout est vanité.

Schopenhauer a commis, dans la partie de son œuvre où il développe l’idéalisme subjectif, la même confusion de mots, et, pour parler net, le même sophisme, non plus comme M. Georges Lyon à propos du moi, mais à propos du cerveau organe du moi. « Toutes nos sensations, dit-il, correspondent à des excitations cérébrales. L’univers entier pourrait cesser d’agir sur le cerveau ; si le cerveau continuait à être excité, il percevrait l’univers. Nous contemplons le ciel immense avec ses étoiles innombrables, sa voie lactée ; mais tout cela, le ciel, la mer, les étoiles, la voie lactée, est dans le cerveau. Faites, avec la main, le tour du cerveau, vous faites le tour de l’univers. » Je veux bien ; et si c’est là une image poétique, destinée à nous rendre plus sensible la prodigieuse activité de la substance cérébrale, je n’ai rien à dire. Mais c’est tout un système que l’on prétend édifier, et alors je demande : en quel sens Schopenhauer emploie-t-il le mot cerveau et de quel cerveau s’agit-il ? Le cerveau, qui est l’objet des sens, le cerveau que je peux voir, peser, parcourir de la main, n’est pas du tout le cerveau considéré comme