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ginations, de nos associations d’idées. Il ne s’agit même pas du moi qui perçoit la réalité sous la forme de l’espace, du temps et des catégories ; car cela, c’est le moi brut, c’est le moi tout fait, c’est la natura naturata. Il s’agit évidemment du moi qui, en tant que moi, c’est-à-dire en tant que puissance suprême d’unité, crée ces moyens d’unité qui sont le temps, l’espace, les catégories. Il s’agit du moi créateur. Or, je veux bien que ce moi nous pénètre ; je veux bien même que, par notre fond, nous touchions à lui, que nous ne fassions même qu’un avec lui. Je veux bien qu’en creusant en nous, nous trouvions, au-dessous de notre individualité organique, notre pensée beaucoup plus vaste, et, au-dessous de notre pensée ou en elle, la force éternelle d’unité qui est la racine de toute pensée et de toute conscience. Je l’ai déjà dit et je le répète, c’est parce que l’infini dit moi que je peux dire moi. Mais ce n’est pas une raison pour confondre le moi éternel et créateur qui soutient toutes les consciences particulières, le même en toutes, avec ces consciences particulières. Il est plus simple de dire avec saint Paul : In Deo vivimus, movemur et sumus ; car, au fond, cette ambitieuse réduction de l’univers au moi ne signifie pas autre chose. Il y a même, dans ces équivoques de langage, quelque danger pour le peu de véritable esprit religieux qui subsiste encore dans les âmes ; car l’essence même de la vie religieuse consiste à sortir de son moi égoïste et chétif, pour aller vers la réalité idéale et éternelle. Et si cette réalité elle-même est baptisée, par les philosophes, moi ; si elle aussi s’appelle le moi, si les cieux racontent la gloire du moi, vous aurez beau commenter, distinguer, expliquer, vous aurez attaché à l’âme en fuite l’ombre de la vie misérable qu’elle veut un moment quitter. Et puis,