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de nous, il ne nous est pas non plus étranger, et ici encore il y a pénétration de l’être et de notre conscience, sans qu’il y ait absorption de l’être en notre conscience. Donc, aucune des formes sous lesquelles le monde peut nous apparaître, ni le mouvement, ni la sensation, ni l’espace, n’implique la dépendance de l’être envers les consciences particulières. Il n’y a donc contre la réalité objective du monde aucune présomption partielle, aucun préjugé de détail ; et si nous sommes condamnés au subjectivisme absolu et au nihilisme qui en est la suite, ce ne sera point la nature propre des formes spéciales, sensation, mouvement, espace, sous lesquelles notre conscience perçoit ce que l’on appelle le monde extérieur. Ce sera seulement parce que toute conscience, du seul fait qu’elle est une conscience, c’est-à-dire un sujet, implique la subjectivité essentielle de toute connaissance. Voilà le problème radical ; et en arrachant tous les sophismes partiels sur la sensation, le mouvement et l’espace, nous avons dégagé la racine même du problème. Il nous reste à discuter ceci et seulement ceci : la conscience, en tant que conscience, est-elle la négation d’une réalité extérieure à elle-même ?

Mais nous avons retenu autre chose encore de notre long voyage. En approfondissant l’idée de mouvement, de sensation, d’espace, nous avons touché à l’être, nous avons senti l’être, et, quoi qu’il arrive, nous ne pourrons pas l’oublier ; même en rentrant dans notre conscience particulière, dans notre moi limité, nous garderons comme un ressouvenir involontaire de l’immensité de l’être. Nous serons comme ces marins qui, rentrés au pays, ont encore dans leur regard l’immensité vague des horizons. Après tout, c’est en vivant