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la vie et de la beauté. Je dirai, me rappelant les profondes formules de Leibniz, que la beauté, le son, la lumière, le parfum, la joie, les obscurs et doux pressentiments contiennent de l’être, et qu’une des formes innombrables de l’être peut se dissoudre après les avoir goûtées sans les emporter avec soi. Je suis, dans l’univers tout plein de forces incomplètes et de consciences ébauchées, comme l’homme de bien aimant la vérité et la justice, en face de la multitude des âmes médiocres ou grossières. S’il devait se consoler et se rassurer avant de mourir, par les parcelles disséminées de vérité et de justice qui sont en toutes ces âmes, peut-être trouverait-il la consolation bien insuffisante et la garantie bien fragile. Mais une pensée plus haute le soutient ; la vérité et la justice ne sont point des hasards ; elles sont au fond même des âmes humaines ; elles en sont la loi idéale ; et ce n’est point par leurs manifestations mutilées et débiles qu’il faut juger de leur force, mais par la promesse d’avenir qu’elles portent en elles, par la secrète vertu qui, tôt ou tard, ici ou là, doit aboutir à de belles révélations. De même, si les consciences dans le monde ne sont pas simplement un fait, si la conscience ne fait qu’un avec l’être, les consciences particulières, expressions diverses de la conscience absolue, devront se rapprocher le plus possible de la conscience absolue et de l’être absolu. Et ce n’est point par un hasard heureux, mais par une idéale et intelligible nécessité, que le monde subsistera éternellement dans les consciences particulières qui le réfléchissent. Au contraire, si je me borne à constater que le monde fourmille de consciences plus ou moins claires, sans chercher pourquoi il y a des consciences, d’abord je ne suis plus assuré de rien, car ces consciences peuvent dis-